Les archives de cette sous-série résultent des versements de la 1ère division de la préfecture, en charge des affaires relatives aux sapeurs-pompiers.
Dans l'Ain, les premières traces d'organisation commune contre l'incendie remontent à la fin du XVIIIe siècle. La série C des Archives départementales conserve quelques dossiers attestant de dépenses pour l'acquisition de matériel à Ambérieu-en-Bugey, Belley, Gex, Montluel, Pont-d'Ain, Pont-de-Vaux, Saint-Trivier-de-Courtes, Saint-Rambert-en-Bugey et Trévoux. Toutefois, ces dépenses n'apportent aucune preuve sur la formation de compagnies structurées et tout porte à croire que le modèle d'organisation adopté pour lutter contre le feu s'assimile fortement à celui employé durant les siècles antérieurs. Face aux incendies, les habitants se mobilisent d'eux-mêmes, improvisent et s'entraident de manière spontanée, sans véritable encadrement. Ce constat s'explique par le manque de ressources financières des communes, principalement affairées à la reconstruction de leur clocher détruit quelques années plus tôt. Il est aussi dû à la carence de textes officiels, laissant aux premiers maires le choix de l'initiative, sans pour autant constituer d'obligations. Il n'est donc pas étonnant de recenser les premiers corps de l'Ain au sein des bourgs les mieux dotés, à commencer par les chefs-lieux de préfecture et de sous-préfectures.
La première compagnie dévoilée par les textes est celle de Bourg-en-Bresse. Par la délibération du 20 juillet 1802, le conseil municipal forme un groupe de 51 hommes, dont 12 sont soldés, composé de 3 officiers, 5 sous-officiers, 4 caporaux et 39 pompiers-canonniers, jeunes gens robustes, agiles et d'une conduite exemplaire. Cette compagnie est employée à la manœuvre des pompes à feu et à l'usage du canon lors des fêtes communales et cérémonies publiques. Viennent ensuite les compagnies de Belley (64 hommes en 1816), Nantua en 1818 et Trévoux en 1829. Bien que formées de manière réglementaire et dotées en matériel, ces compagnies n'évoluent que sur des zones géographiques réduites, laissant les campagnes en dehors de tout changement. Et malgré les efforts consentis par les municipalités, l'ampleur du feu nécessite parfois un retour aux anciens usages. Ainsi, en juillet 1818 à Nantua, le sous-préfet indique à sa hiérarchie que tous les habitants, toutes les autorités, la compagnie entière des pompiers, la gendarmerie et les douaniers ont dû se mobiliser afin d'avoir raison d'un incendie.
Ce n'est qu'à partir de l'instruction du 6 février 1815 que le ministre de l'Intérieur règlemente l'administration des corps de sapeurs-pompiers de manière uniforme. Ce texte repose en premier lieu sur un postulat qui reste inchangé pour la période qui nous concerne, à savoir le choix de l'échelon communal pour toute forme d'organisation. Les règlements internes, bien que soumis à l'approbation préfectorale, sont rédigés par les maires et les compagnies dépendent de leur autorité directe. Seuls les officiers et les sous-officiers sont désignés par les préfets. Le binôme composé par le maire et son chef de corps devient alors l'élément essentiel de toute formation communale.
La loi du 22 mars 1831 intègre les compagnies de sapeurs-pompiers au sein des gardes nationales et les assimile à l'arme du Génie. Le principe du service gratuit de la garde nationale détache les communes de toute implication budgétaire envers les sapeurs-pompiers soldés qui, du coup, doivent renoncer à leur rémunération. Ils obtiennent en compensation la faculté de choisir leurs officiers et sous-officiers et peuvent prétendre, en cas de blessure, aux pensions ou secours prévus pour les gardes nationaux. Bien que les historiens montrent cette loi comme un élément déclencheur, il est difficile de dire si l'Ain est entré d'emblée dans ce mouvement. D'après les documents conservés ici, il semblerait plus juste de fixer la première vague de création de compagnies aux alentours des années 1846-1855. Cette éclosion devient toutefois le ferment d'une véritable dynamique dans la seconde moitié du XIXe siècle où, de 62 compagnies constituées en 1858, le département passe à 129 compagnies en 1876.
La loi du 25 août 1871 dissout définitivement les gardes nationales à l'exception des sapeurs-pompiers, dont l'organisation ne change pas avant le décret du 29 décembre 1875. Par ce nouveau texte, les corps des sapeurs-pompiers relèvent du ministère de l'Intérieur mais ne peuvent se réunir en armes qu'avec l'assentiment de l'autorité militaire. La formation des compagnies est soumise à l'engagement volontaire des sapeurs-pompiers pour une durée de 5 ans, et à l'engagement des communes à entretenir le corps, également dans un délai minimum de 5 ans. Les officiers sont nommés par le président de la République et les sous-officiers sont nommés par les chefs de corps. Les sapeurs-pompiers peuvent être autorisés, au-delà de la lutte contre l'incendie, à concourir à des opérations de sauvetage ou d'escortes dans les cérémonies publiques. C'est à partir de ce texte que les activités des sapeurs-pompiers vont dépasser le cadre de la lutte contre le feu.
Par le procédé de l'engagement, le ministre n'impose aucune contrainte sur les communes, qui restent libres d'organiser ou non un service de secours (les dépenses prévues sur les budgets communaux ne sont pas obligatoires). Malgré tout, bon nombre de maires consentent à créer ou à maintenir des crédits nécessaires, même si ce choix représente, notamment pour les communes rurales, de lourds investissements. Car dès l'autorisation de formation obtenue, les communes doivent subvenir à de nombreuses dépenses, qui de fait deviennent exigibles :
• frais d'habillement et d'équipement des hommes,
• loyer, entretien, chauffage, éclairage et mobilier du corps de garde,
• entretien des pompes et de leur local,
• solde des tambours et clairons,
• réparations des armes,
• frais de bureau,
• secours ou pensions alloués aux sapeurs-pompiers victimes de leur dévouement, à leur veuve ou à leurs enfants (en matière d'assistance, les dépenses communales seront élargies aux frais médicaux et pharmaceutiques, frais funéraires, allocation vieillesse, indemnité pour incapacité de travail).
Le ministre de l'Intérieur fixe à un an la durée de réorganisation complète des compagnies. Or, dans l'Ain, le texte a pour conséquence de couper de manière assez nette l'élan amorcé 25 ans plus tôt. Le 18 novembre 1876, le sous-préfet de Nantua explique ce fait par l'instauration de l'engagement obligatoire qui provoque chez les anciens pompiers la crainte de se voir imposer des devoirs spéciaux au point de vue militaire. En outre, le sous-préfet signale la méconnaissance ou le manque de préoccupation des maires face à cette nouvelle réglementation. A lire le rapport du préfet au ministre (le 27 novembre 1876), le constat dressé pour l'arrondissement de Nantua peut s'appliquer sur l'ensemble du département puisque seules 14 compagnies sur 129 ont fait les démarches nécessaires afin de régulariser leur situation. Faute d'évolution satisfaisante durant les deux années suivantes, le préfet se résigne à rédiger le 5 novembre 1878 un modèle de règlement à destination des maires et des chefs de corps afin d'activer le mouvement. L'initiative du préfet a permis de comptabiliser 125 corps régulièrement constitués en 1881.
Le décret du 10 novembre 1903 abroge celui de 1875. Quelques modifications sont apportées dans le cadre de l'organisation administrative des corps :
• l'organisation à l'échelon communal est maintenue mais il est désormais possible à plusieurs communes d'être réunies en un seul corps,
• l'engagement des communes passe de 5 à 15 ans,
• l'engagement des sapeurs-pompiers est maintenu à 5 ans mais l'admission est autorisée dès 18 ans (qui est l'âge de l'engagement volontaire dans l'armée),
• dans les communes possédant un corps de sapeurs-pompiers sera créée une caisse de secours et de retraites, pouvant être organisée en société de secours mutuels. Cette caisse est destinée à recevoir les subventions de l'Etat et du département, les allocations votées par le conseil municipal, les cotisations des membres, le produit d'amendes, la part prélevée sur le produit des services rétribués (bals, concert…), les dons et legs.
Les subventions de l'Etat mentionnées ici proviennent de ressources créées par la loi de finances du 13 avril 1898. En imposant une taxe spéciale aux compagnies d'assurances contre l'incendie, le budget du ministère de l'Intérieur se voit doté d'une ouverture d'un crédit de 1,2 million de francs. Cette dotation, inscrite annuellement au budget, constitue un fonds spécifique reversé aux communes sous deux formes de subventions : 1) une subvention annuelle proportionnelle à l'effectif du corps et à la population, destinée aux secours et à l'entretien du matériel, 2) des subventions spéciales pour l'acquisition ou l'entretien de matériel, équipement et habillement. Afin d'aider à la gestion et à l'amélioration des corps municipaux, le département de l'Ain se dote, dans le cadre des prescriptions du décret du 10 novembre 1903, d'un service d'inspection placé sous l'autorité du commandant Souel. Dans sa circulaire du 31 mai 1913, le préfet ne manque pas de souligner aux maires l'intérêt d'un tel service et insiste tout particulièrement sur la bonne organisation administrative des corps, notamment concernant les règles de comptabilité publique et la tenue des registres matricules, de délibérations et d'inventaires.
La réorganisation portée par le décret du 13 août 1925 se maintient dans le même esprit que celle de 1903. Toutefois, il faut signaler qu'à partir de 1925, les corps de sapeurs-pompiers relèvent uniquement du ministère de l'Intérieur. Ceci est dû à leur désarmement qui les détache de manière définitive de toute tutelle envers les autorités militaires. Dans ses grandes lignes, les autres modifications apportées par le décret ne touchent que la forme :
• les officiers sont nommés pour 8 ans ; leurs pouvoirs peuvent être renouvelés par arrêté préfectoral,
• les sous-officiers chefs de corps sont nommés par le préfet,
• les autres sous-officiers ou caporaux sont nommés par le chef de corps,
• les limites d'âge sont fixées entre 16 et 65 ans pour le service des sapeurs-pompiers.
Une modification majeure apparaît en 1938 puisque le décret du 12 novembre relatif à l'administration départementale et communale précise à l'article 8 : Sont également obligatoires pour les communes, les dépenses de personnel et de matériel relatives au service de secours et de défense contre l'incendie, ledit service étant organisé dans le cadre communal, intercommunal ou départemental. Le choix laissé aux communes en matière de création de compagnies et le procédé d'engagement qui leur est rattaché depuis 1875 deviennent donc caducs. Cette nouvelle obligation a pour effet d'augmenter sensiblement le nombre de services municipaux. Sur les 458 communes que comptent le département de l'Ain, le nombre de compagnies régulièrement constituées passe de 327 en 1932 à 346 en 1939, auxquelles il faut ajouter 45 communes rattachées.
Au fur et à mesure de leur évolution, les corps de sapeurs-pompiers ont régulièrement diversifié leurs activités. De leur mission première qui reste la lutte contre l'incendie, les hommes du feu se sont également investis dans bon nombre d'actions de secours envers les personnes, les animaux ou les biens. L'esprit de corps et les valeurs morales qui leur sont associés provoquent bien souvent l'estime des habitants qu'ils protègent. A un autre niveau, par la création de sociétés de prévoyance, de sociétés musicales ou encore d'amicales, ils sont également les créateurs de liens sociaux toujours visibles au sein des communes.