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Baillage-présidial de Bourg

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    L'INSTITUTION, LE DROIT, LES HOMMES

    Les archives judiciaires de la Bresse qui nous sont parvenues, ne remontent pas antérieurement aux années 1620. Or, à cette époque, la Bresse était déjà française depuis près de 20 ans. Nous aurions donc pu faire l'économie d'un exposé sur les institutions judiciaires de la Bresse à l'époque savoyarde, mais il nous a paru cependant opportun d'en dire quelques mots dans la mesure où elles se trouvent à l'origine de la création du bailliage-présidial par Henri IV, et de la constitution du droit bressan encore utilisé au XVIIIe siècle. Nous tenterons aussi de décrire la nature particulière de ce droit bressan et de rechercher quels hommes ont été les artisans de la justice du

    bailliage-présidial de Bourg et les créateurs des archives que cette institution nous a laissées.

    I. De la justice de Bâgé au Grand Bailliage de Bourg

    La justice en Bresse sous les ducs de Savoie

    La justice savoyarde a été décrite par Samuel Guichenon avec assez de précision ; nous le suivrons donc dans les grandes lignes de son exposé.

    A l'époque des sires de Bâgé, qui régnaient sur la plus grande partie de la Bresse, la justice était administrée par un juge qui siègeait ordinairement à Bâgé ; ses appels étaient relevés par le seigneur lui-même qui les jugeait en prenant l'avis de son conseil composé de gens d'église, de nobles et de juristes de profession.

    Apres le mariage de Sibylle de Bâgé et d'Amédée IV de Savoie, celui-ci fit de Bourg la capitale de ce petit état et y établit le siège de la justice, avec un juge, un procureur fiscal et un greffier. Ce juge s'intitulait "Juge de la terre de Baugé". Le sceau qui servait à l'expédition des actes portait la croix de Savoye, adextrée et sénestrée en chef des deux lions d'hermines qui figuraient sur les armes des anciens sires de Bâgé, avec l'inscription, tout autour : Sigillum Curie Domini Baugiaci. Après la mort de Sibylle, le comte Amédée établit un bailli en Bresse, qu'il fit chef de la justice, assisté d'un juge qui prit le titre de "Juge Mage de Bresse", tandis que le sceau de la justice ne portait plus qu'une simple croix de Savoie, avec ces mots Sigillum Baillivatus Bressiæ. Quant aux appels, ils se relevèrent désormais au conseil du comte de Savoie, à la tête duquel se trouvait le chancelier. A cette époque, il ne semble pas qu'il y ait eu un auditoire fixe, car on voit, au XIVe siècle, des sentences rendues "en la place publique, devant la hasle de Bourg". D'autre part la justice paraît avoir été rendue aussi par un juge propre à l'ancienne terre de Bâgé, puisque nous avons conservé les comptes de cette judicature de 1305 à 1370.

    Il faut noter aussi que dans les châtellenies savoyardes, c'est à dire dans les terres qui appartenaient en propre au prince, les châtelain avaient conservé un certain droit de justice dont il font état dans leurs comptes en percevant les amendes de composition (banna concordata) et les amendes de condamnations (banna condempnata), l'énoncé des motifs de ces amendes étant, soit dit en passant, l'une des meilleures sources pour connaître la petite criminalité et la vie sociale en général dans la région au Moyen Age.

    La première transformation importante fut, par la suite, la création d'une juridiction d'appel en Bresse, avec à sa tête, un "juge des appellations". Philipon la situe en 1391 et Guichenon le 26 novembre 1443. Cette création, ajoute ce dernier, avec beaucoup de vraisemblance, avait été faite "pour le soulagement des sujets qui bien souvent pour des matières légères, estoient obligez d'aller plaider à grands fraiz par devant le Conseil du Duc". Ce nouveau juge avait donc pouvoir de juger tous les appels qui viendraient du juge mage.

    En 1460, lorsque les anciennes seigneuries de Bâgé, de Bresse, du Revermont et de la Valbonne furent érigées en comté en faveur de Philippe de Savoie, le duc Louis, son père, lui concéda, lors de l'inféodation, les deux degrés de juridiction, mais en se réservant le troisième, c'est à dire l'appel en dernier ressort au conseil du prince. Le deuxième degré de juridiction n'était plus le juge des appellations, mais un conseil siègeant dans la ville de Bourg, avec un président ; il y avait aussi un chancelier, une chambre des Comptes et un "avocat fiscal".

    Lorsque Philippe de Savoie devint duc, il réunit le comté de Bresse au Duché de Savoie, et rétablit le Juge des appellations de Bresse. Mais celui-ci fut encore supprimé, pour la seconde fois, en 1505, par la douairière Marguerite d'Autriche, veuve du duc Philibert le Beau, qui créa, à sa place, un conseil et un président, à condition cependant que les appels de ce conseil se relèveraient au conseil ducal de Chambéry. Le personnel judiciaire local était alors -toujours d'après Guichenon- composé du président de Bresse (ancien juge des appellations), d'un lieutenant au bailliage (ancien juge mage, d'un maître des comptes, d'un avocat fiscal, d'un procureur fiscal, d'un avocat des pauvres, d'un contrôleur de Bresse, d'un trésorier de Bresse et d'un prévôt des maréchaux.

    La justice au temps de la première occupation française

    Le refus que le duc de Savoie opposa au roi François Ier de le laisser traverser ses états, entraîna la confiscation de la Bresse et du Bugey qu'il réclamait en tant qu'héritier de Louise de Savoie sa mère, tante de Charles III. La conquête, rapidement menée par l'amiral Chabot, eut lieu en février 1536. Sur le plan judiciaire, François Ier maintint tous les officiers savoyards en place, mais sous réserve qu'ils prissent leurs commissions du roi. Cependant il supprima les offices de maître des comptes et de trésorier, et le président fut changé à nouveau en juge des appellations.

    En attendant la conquête de la Savoie, François Ier ordonna que les appellations du juge mage des appels de Bresse se relèveraient au parlement de Dijon. C'est l'objet de l'édit de mars 1536 "portant que les pays et comté de Bresse, Bugey et Valromey, que le Roi a depuis peu fait mettre en son obéissance, ressortiront en souveraineté au Parlement de Bourgogne, par appel ou autrement, et pour le fait des finances à la Chambre des Comptes de Dijon".

    Dans cet édit, dont un premier et long préambule énonce les griefs portés par le neveu contre son oncle, justifiant la conquête, puis un second sur l'utilité d'une bonne justice "principal fondement et moyen de faire vivre en unyon et transquillité les subgectz", François Ier déclare :

    "nous avons par ces présentes dict, statué et ordonné […] que doiresnavant par cy après, la justice ordinaire des lieux desd. conté, pays, terres et seignories, soit tenue, traictée et administrée comme elle a esté par cy devant jusques icy par les officiers et juges ordinaires qui y ont esté et sont d'ancyennetté ordonnez et establiz, lesquelz, pour cest effect, presteront et feront leurs sermens par devant les commissaires qui ad ce seront de par nous commis et depputez pour donner ordre au reste des affaires desd. pays, et ressortiront les appellacions desd. juges ordinaires par devant le bailly de Bresse ou ses lieuxtenans es sieges ou ilz ont acoustumé de ressortir es cas et selon et ainsi qu'il a esté faict par le passé, et dud. bailly ou sesd. lieuxtenans par devant noz amez et feaulx les gens de nostre Court de parlement en Bourgoingne séant a Dijon, que nous avons ordonnée et establie, ordonnons et establissons ausd. subgectz de Bresse pour leur dernier ressort et souverainnetté, où leur sera faict et administré par les presidens, conseiller(s) et aultres noz officiers en icelle, bonne et brefve expedition de justice sur leurs procès et différens qui par appel et aultrement seront pendans et devolluz en nostred. Court, et se pourvoyront lesd. subgectz en nostre chancellerie estant lez nous ou en nostre chancellerie aud. Dijon, quant aux reliefz d'appel, provisions et aultres mandemens de justice dont ilz auront besoing et qui ont acoustumé d'estre octroyez et expediez en nostred. chancellerie".

    Cet édit fut repris quelques jours plus tard, par les lettres de Saint-Chef "pour l'administration de la justice de Bresse" (8 avril 1536, n.s.) qui donnaient plus de précisions sur les appels des justices seigneuriales :

    "Ressortiront aussi par devant le dit juge d'appel au dit Bourg, les appellations qui seront interjettées des juges d'appeaux des barons qui ont ressort et connoissance des premières appellations de leurs juges ordinaires.

    Et au regard des appellations que seront interjettées du dit juge d'appel séant à Bourg, [elles seront] relevées et dévolues jugées et terminées en la Cour de Parlement de Dijon. Et quant ès appellations qui seront émises des dits chastellains des bannerets et vassaux, qui n'ont juge d'appel, seront relevées et ressortiront par devant ledit juge d'appeaux au dit Bourg, et du dit juge d'appel au dit Dijon, les actes et sentences du dit bailli et de ses lieutenants seront sellées d'un seau aux armoiries du Roy, à l'entour du quel sera escrit : Sigillum Baillivatus Bressiæ.

    Et pour l'expédition et approbation des actes et sentences du dit juge d'appeaux, y aura un autre seel aux armes du Roy, à l'entour du quel sera escrit : Sigillum curiæ appellationum Bressiæ.

    Et touchant les appellations des juges d'appel des comtés de Villars, de Montrevel et de Varax, ressortiront sans moyen en la dite cour de Parlement de Dijon, sans qu'il y ait ressort des dites appellations au siège de Bourg, veu que par cy-devant n'y sont ressortis, mais estoyent relevées à Chambéry, du lieu qu quel ressort auront les sujets la dite cour de Parlement de Dijon où leurs causes et différens seront finalement terminés, ce quoy faisant, seront soulagez des deux autres lieux, ausquels les parties recouroyent après le jugement fait au dit Chambéry".

    La veille, le roi avait aussi ordonné, par d'autres lettres "de faire doresnavnat les plaidoyeries et rédiger par escript les actes judiciaires, contracts et instruments qui se feront et passeront en nos Cours, justices et jurisdictions de nosdits pays et comtés, en langage françois". C'est donc à partir de 1536, que le latin disparut des actes judiciaires en Bresse et en Bugey. Cette mesure ne fut d'ailleurs pas révoquée lorsque les pays de l'Ain firent retour à la Savoie.

    En outre, par cette même lettre, François Ier demandait de faire informer "sur le fait et forme de leur stile", première tentative de codification du droit bressan, sur lequel nous reviendrons.

    Enfin, l'augmentation notable des procès qu'entraîna ce rattachement au parlement de Dijon, nécessita la création d'une seconde chambre criminelle, par un édit de novembre 1537 :

    "Comme nous avons esté advertiz que en nostre Court de parlement de Bourgoigne y affluent plusieurs procès cryminelz tant de nostred. pays et duchié que de noz païs de Bresse, Beugey et Veromey que avons ordonné ressortir en nostred. Court, que lesd. procès tumbent en longueur et les prisonniers detenuz sans expedicion et souvent les delictz impugniz pour le petit nombre de conseilliers estant en nostred. Court, et que pour y pourveoir soit requis et necessaire de mettre en icelle nostred. Court ung nombre de conseilliers laiz, affin que plus promptement puisse estre faicte l'expedicion desd. prisonniers et procès criminelz, [...] ordonnons par edict perpetuel et irrevocable que en nostred. Court de parlement de Bourgoigne outre les conseilliers qui y sont de present y aura six conseilliers laiz, esquelx sera par nous pourveu de personnages ydonnes et suffisans, aux gages, honneurs, auctoritez et preheminences que ont accoustumé avoir les autres conseilliers laiz de nostred. Court, qui pourront juger tant en civil que cryminel comme les autres conseilliers de nostred. Court, et pour l'expedicion duquel cryminel nosd. conseilliers laiz tant anciens que nouveaulx se assembleront, selon et en tel nombre que leur sera ordonné par nostred. Court, en une chambre a part qui sera dicte et nommee la chambre cryminelle, en laquelle ne sera procedé au jugement des procès civilz tant qu'il y aura procès cryminelz a expedier".

    Tous ces textes sont d'une grande importance, car en soumettant la Bresse et le Bugey au parlement de Dijon et non à celui de Grenoble, François Ier créait un précédent qui servit plus tard de modèle à Henri IV.

    Cependant cette situation ne fut que de courte durée car, après la conquête de toute la Savoie, et la création d'un parlement à Chambéry à la place du conseil qui avait suivi le prince, les appels de la Bresse et du Bugey y furent désormais portés.

    Le roi Henri II n'apporta que peu de modifications, malgré l'édit de création des présidiaux en 1551, et se contenta de créer un office nouveau au bailliage de Bresse, celui de lieutenant particulier, que le duc de Savoie, Emmanuel-Philibert, supprima d'ailleurs après la restitution de ses états en 1559. Pour le reste, le retour dans le giron savoyard ne changea rien à la situation judiciaire, sinon que, depuis lors, le parlement fut remplacé par le sénat de Savoie.

    La création du bailliage-présidial de Bourg de 1601

    La conquête de la Bresse et du Bugey par Henri IV et le maréchal de Biron dans les dernières années du XVIe siècle, aboutit au traité de Lyon, de janvier 1601 qui rattachait ces provinces à la France en échange du marquisat de Saluces que le duc de Savoie (Charles-Emmanuel) occupait depuis longtemps. Cette annexion à la France apparaissant d'emblée comme définitive, Henri IV ne tarda pas à transformer radicalement l'administration judiciaire en appliquant à ces nouvelles provinces le fameux édit de 1551, et en créant le présidial de Bourg-en-Bresse.

    Ce texte fondamental, puisqu'il est à l'origine même de la plus grande partie de la série B, n'ayant que très rarement été reproduit dans les ouvrages régionaux, nous en donnerons ici de larges extraits :

    "Henry, par la grâce de Dieu, Roy de France et de Navarre […] Créons, et establissons par ces presentes un siège Présidial en nostre ville de Bourg, capitale dudit pays de Bresse, auquel siège voulons que ressortissent nuëment, et immediatement toutes les Justices subalternes, sièges, et juridictions tant dudit pays de Bresse, que de ceux dudit Bugey, Verromey, Gex, et autres lieux à nous remis par lesdit eschange, et que tout nos sujets ecclesiastiques, gentils-hommes, et autres desdits pays, de quelque qualité, et condition qu'ils soyent de present, et pour l'advenir, ayent à s'y pourvoir pour toutes causes, et matières tant civiles que criminelles en premiere instance, ou par appel, comme il appartient, et comme il est accoustumé de faire ès autres sieges présidiaux, bailliages, et sénéchaussées de nostre Royaume, pour l'administration duquel siege, et la distribution de la Justice à nosdits sujets, avons par cettuy nostre mesme edit, crée, institué, et erigé en chef et titre d'office formé, créons, instituons, et érigeons les estats et offices d'un President présidial, et lieutenant civil, et criminel, et de huit conseillers, l'un clerc, et les autres laics, pour au nombre requis par nos ordonnances, et conformément aux Edits, et règlemens cy-devant faits pour la juridiction des autres sieges Présidiaux, et des Senechaussées, et Bailliages de nostre Royaume, et l'instar d'iceux connoistre, juger, et decider de tous cas Royaux, et des autres matieres, et instances y appartenans ; lesquelles nous voulons estre remises, renvoyées, et delaissées aux officiers dudit Siege, pour par eux estre reglées, et determinées selon nosdites ordonnances, et par mesme moyen avons institué audit Siege un advocat et un procureur pour nous, ensemble deux Greffiers, l'un civil, et l'autre criminel pour escrire, recevoir, et signer tous les decrets, jugemens, et lettres, et autres actes, et procédures, comme il est accoustumé, et lors qu'il y escherra selon execution selon les lettres sellées du seel de nos armes, que nous establissons audit Siege sous la garde dudit President aux émolumens, et autres droits accoustumés [...] et le tout sous le ressort de nostre Cour de Parlement de Bourgogne séant à Dijon, a laquelle par l'advis que dessus nous avons sousmis, et soumettons ledit Presidial avec tous lesdits sièges ressortissants. […]

    "Donné à Paris au mois de juillet l'an de grace 1601 et de nostre règne le douzieme […]. Fait à Dijon, en Parlement, les chambres assemblées, le 3 septembre 1601. Signé Mochot. Leües aussi, et publiées dans l'auditoire du Presidial et bailliage de Bourg le 7e jour de septembre 1602."

    Ce texte renvoyant implicitement à l'édit des présidiaux de 1551 (Fontainebleau), nous en donnerons aussi les principaux passages ; ils sont d'une importance capitale pour la hiérarchie des bailliages, des présidiaux et des parlements pendant toute la durée de l'Ancien Régime :

    "Qu'en chacun de nos Bailliages, et Senechaussées de nos Royaumes et Païs de nostre obeissance qui le pourront commodément porter, y aura un Siege Presidial, pour le moins au tel lieu et endroit que nous aviserons et verrons estre plus utile pour nosdits sujets. Auquel Siege y aura neuf Magistrats, Conseillers pour le moins, y comprenans les Lieutenans generaux et particuliers, civils et criminels, qui seront par ce moyen sept Conseillers que nouvellement nous creons et érigeons en chef et titres d'Offices formez : pour audit nombre de neuf connoistre, juger et décider de toutes matieres civiles et criminelles : c'est à sçavoir des criminelles, selon le Réglement qu'en avons fait par nos precedentes ordonnances, et toutes matieres civiles qui n'excederont la valeur de deux cents cinquante livres tournois de rente ou revenu annuel, de quelque nature ou qualité que soit ledit revenu, droits, profists et émolumens dépendants d'héritages nobles ou roturiers, qui n'excederont la valeur pour une fois de ladite somme de deux cens cinquante livres tournois, en jugeront sans appel, et comme les Juges Souverains, et en dernier ressort, tant en instruction, incidens, que principal. Et des dépens procedant à cause desdits jugemens, à quelque somme que lesdits dépens se puissent monter.

    "Voulons en outre, que les Sentences et Jugemens qui par nosdits Juges, Lieutenans et Conseillers seront donnez, ainsi que cy-après sera dit, non excedans la somme de cinq cens livres tournois pour une fois, et vingt livres tournois de rente où revenu annuel, et droit tel que dessus, soient executez par provision, nonobstant l'appel, tant en principal que dépens, à quelque somme que lesdits dépens se puissent monter, en baillant toutesfois caution par ceux au profit desquels lesdits Jugemens et Sentences auront esté donnez : ou a tout le moins en eux constituans pour raison de ce, achepteurs des biens et depositaires de Justice, déclarant par ce moyen, que ne voulons ny entendons que les appellations qui interviendront et seront interjettées par les parties desdites Sentences et Jugemens, ayent aucun effet suspensif de l'execution du Juge : mais seulement devolutif en nos Cours Souveraines, ausquelles enjoignons faire droit aux parties le plus promptement et diligemment que faire se pourra, dont nous chargeons leurs honneurs et consciences.

    "Et ne pourront nosdits Juges Présidiaux proceder aux jugemens desdites matieres, soit interlocutoirement ou diffinitivement en moindre nombre que de sept. Et si au moyen des recusations qui se pourront proposer, ou autrement, lesdits Juges ne se trouvoient audit nombre, en ce cas les parties accorderont des Avocats au Siege, et en leur refus, lesdits Juges non estans en nombre, et non récusez, pourront prendre desdits Avocats les plus fameux et notables dudit Siege Presidial, pour parfaire ledit nombre de sept, non suspects ne favorables aux parties, et ressortissent en iceluy Siege Presidial toutes appellations des Sieges particulieres et subalternes estans sous iceluy Siege.

    "Leur interdisant et défendant de ne prendre ne retenir aucune connoissance en souveraineté du fait de nostre Domaine, ne de partie ou portion d'iceluy, ne semblablement des matieres concernans nos Eaux et Forests, soit pour raison du fonds et proprieté, ou à cause des degats, entreprises et malversations."

    Les premières mises au point : la confirmations des privilèges antérieurs

    Cette transformation radicale de l'exercice de la justice, causa un certain émoi dans les différentes classes de la société et chacune s'empressa de faire confirmer ses privilèges. En premier venaient évidemment les nobles qui jouissaient de droits de justice qui leur avaient été concédés par les princes de Savoie et auxquels ils tenaient particulièrement, plus peut-être pour des raisons de prestige que par intérêt. Le roi se montra rassurant en affirmant que rien n'était changé pour les justices subalternes, hormis l'appel :

    "Et quant à ce qui concerne la distribution de notre justice, nous aurons pour resoudre toutes difficultez qui pourroient naistre en l'interpretation de nostre édit fait pour l'establissement de nostre siege presidial à Bourg, dit, declaré, disons et declarons nostre intention estre, que aucuns de nos dits subjects ecclesiastiques, nobles et autres du tiers estat, soient tenus et astraints de ne subir autre juridiction en première instance que celle qu'ils avoient accoustumé avant la cession des dits païs ; et ayant desja, par nostre dit édit, créé et ordonné un lieutenant general civil et criminel de nostre baillif de Bresse, et un siege presidial, composé d'un president présidial, joint à l'estat sus dit de lieutenant et autres officiers en nombre suffisant, pour rendre la justice à nos subjects, chacun en premiere et seconde instance, selon qu'a eux appartient et se faisoit avant la cession des dits païs, reservant seulement au dit siège presidial les appellations y attribuées, ès cas de nos ordonnances, et quant et quant voulu icelles juridictions estre establies en nostre ville de Bourg.

    "Nous avons d'abondant dit, declaré et ordonné, disons aussi, declarons et ordonnons qu'ores, et pour l'advenir, les dites juridictions de nostre bailliage et siege presidial seront et demeureront establies en nostre dite ville de Bourg, perpetuellement et à tousjours, selon l'ordre et forme portée par nostre dit édit, et à l'instar des autres sieges presidiaux de nostre royaume.

    "Ce que nous voulons avoir le même effet pour les justices subalternes et des bannerets de la province, dont nous voulons et entendons l'administration et exercice estre continué, et demeuré en nostre dite ville de Bourg, comme il se faisoit par le passé, et qu'ils ont de tout temps accoutumé, sans rien changer ou innover de ce qui s'y observoit lors de la cession à nous faite d'iceux païs.

    "N'entendons aussi, en ce faisant, rien diminuer des droicts prerogatives, pouvoirs et authoritez attribuez aux marquisats, comtez, baronnies, chastellenies et autres dignitez et seigneuries de la province ; ains voulons, statuons, ordonnons et nous plaist que leurs dits droicts de justice leur demeurent entiers, libres et paisibles , en usent, et soit l'administration faite, ainsi qu'ils faisoient bien et deuëment par le passé ; notamment par les degrez de leurs juridictions, tant de premiere instance que d'appel, ausquelles nous aurons continué et continuons le pouvoir et faculté de connoistre, comme nous entendons que l'on connoisse de toutes telles et semblables causes et affaires, et matieres qui leur ont esté concedées, permises et accordées, et dont ils sont en bonne et deuë possession, et en jouyssoient encores lors du dit traitté de paix ; et toutes fois combien que cy-devant les appellations interjettées de juges d'appel des dits marquis, comtes, ou autres seigneurs qui sont en possession de ce second degré de juridiction, eussent par grace et privileges particuliers accoustumé d'estre relevé directement au souverain sénat de Chambéry, au lieu duquel despuis le dit traitté, nous avons proposé pour juges souverains de nos subjects des dits païs, les officiers de nostre cour de parlement establie à Dijon ; et à laquelle ce faisant l'on pourroit pretendre icelles appellations devoir ressortir.

    "Voulons neantmoins, au soulagement de nos subjects, leur estre la justice souverainement, et avec les moindres frais et despens, rendue et distribuée. Nous avons expressement, de nos certaine science, pleine puissance et authorité royale, statué et ordonné, statuons et ordonnons, qu'ores et pour l'advenir toutes et chacunes des appellations des dits juges d'appel qui se souloient relever au dit souverain sénat de Chambéry, et que par consequence pourroient estre tirée en nostre dite cour de parlement, seront et les avons renvoyés en nostre dit siege presidial, pour quelque matiere que ce soit, pourveu qu'elle s'y puisse terminer deffinitivement, ainsi qu'en nostre dite cour de parlement, et qu'elle n'excede les cas dont nous avons attribué par nos ordonnances la juridiction absolue et definitive à nostre dit siege presidial de Bourg, ainsi qu'aux autres sieges présidiaux de nostre royaume : en ayant à nostre dit siege presidial de nouveau donné et donnons, par ces presentes, toute cour, juridiction et connoissance, defendant à tous nos subjects, de quelque qualité et condition que ce soit, de se pourvoir ailleurs, ne autrement. Et à nos amez et féaux conseillers, les gens tenants nostre cour de parlement, de reserver et retenir cy-apres la connoissance, ains renvoyer les causes et procès de cette condition en l'estat qu'ils seront, par devers nostre dit siege, sur les peines portées par nos dites ordonnances."

    L'origine du "Procès des Justices"

    En fait, il apparut bien vite que le problème délicat résidait dans les degrés de juridiction attribués aux grands vassaux et dans la connaissances de leurs appels. Le roi parut le résoudre dans sa "Jussion pour la noblesse de Bresse" en déclarant :

    " Et à fin qu'il ne soit fait aucun prejudice aux droicts, facultez, et pouvoirs de justice attribuez aux Marquis, Comtes, Vicomtes, Barons, et Bannerets, notamment que les degrez de juridiction, tant en premiere, que seconde instance, qui leur sont attribuez, et dont ils sont en bonne et deuë possession, leur soient conservez, Nous avons ordonné, et ordonnons que les Ecclesiastiques, Nobles, et autres subjects, tant en Nostre dit païs de Bresse, que de Beugey, et Verromey, ne seront tirez hors de leurs Bailliages et juridictions ordinaires et accoustumées en première instance. Et outre ce que les juges tant de premiere instance que d'appel desdits Marquis, et Comtes, ensemble les Vicomtes, Barons, et Bannerets, si ledit second degré de juridiction leur est octroyé, auront la mesme connoissance des matieres tant Civiles que Criminelles qu'ils avoit auparavant, et en jugeront soit en premiere, ou seconde instance, ainsi et comme ils faisoient bien et deuëment sous l'obeyssance de Nostre frère le Duc de Savoye. Et connoistra de mesmes Nostre Baillif de Bourg, ou son Lieutenant, en ce qui est de son establissement et ressort, des mesmes causes en premiere instance, que par appel, ou autrement appartenant au Juge Mage cy-devant estably au mesme Siege de Bourg, au lieu duquel a esté créé par Nous un Lieutenant, dont l'appel, si aucun est interjectées des juges d'appel desdits Marquis, Comtes, et autres jouyssants dudit second degré de juridiction, en ce qui est du pouvoir absolu du dit Siege, et qui n'excedera les sommes, dont il peut diffinitivement juger et decider suivant Nos Ordonnances, sans que esdits cas de nos Ordonnances, ne qu'en consequence de ce que par cy-devant lesdites appellations des juges d'appel se relevoient directement au souverain Sénat de Chambéry, l'on puisse désormais tirer Nosdits subjects ailleurs pour lesdits cas qu'en Nostre Siege Presidial, à peine de nullité de toutes procedures, despens, dommages, et interests des parties. Enjoignant à Nostre Cour de Parlement à Dijon, de renvoyer desormais sur ce lesdites parties, sans s'immiscer davantage en la connoissance desdits cas de Nos Ordonnances sur les peines d'icelles."

    La question cependant restait de savoir dans quels termes exacts les concessions de justices avaient été faites par les princes de Savoie aux nobles. Cette incertitude, qui portait surtout sur la transmission de cette concession lors des ventes ou des partages, amena un interminable procès, appelé "le Procès des Justices", qui en commençant en ce début du XVIIe siècle, ne s'éteignit définitivement qu'avec la Révolution de 1789. Nous n'aborderons pas ici cette longue affaire, sur laquelle nous reviendrons un peu cependant lors de la présentation des grandes justices seigneuriales, car ce procès a été longuement traité par de Combes.

    Les quelques transformations du XVIIe siècle et La Cour souveraine de Bresse

    On peut dire que pendant tout le XVIIe et XVIIIe siècles, les institutions judiciaires de l'Ain furent assez stables. Cependant on peut noter quelques changements soit peu importants, soit de courte durée.

    Un fait mérite d'être signalé, c'est l'attribution au présidial de Bourg, de la connaissance des procès concernant les impôts du clergé. En effet, le clergé de Bresse et du Bugey, avait été exempté de payer les décimes et autres taxes du clergé de France, en échange du payement de la somme de 6 000 livres à chaque avènement d'un roi, somme qui fut transformée par l'arrêt de 1626 en un payement annuel de 3 000 livres avec cette clause que "en cas qu'il survienne quelques procès et différents pour raison de la dite levée, ordonne Sa Majesté que les parties se pourvoiront par devant les Présidiaux de Bourg". Cette connaissance était unique en France.

    Parmi les transformations importantes, mais de courte durée, il faut ranger la création d'une Cour souveraine de Bresse qui ne dura malheureusement que de 1658 à 1661, et dont la naissance est liée à la lutte entre le pouvoir royal et le parlement de Dijon. Cette création qui faisait évidemment l'honneur de la Bresse et de Bourg, a été étudiée par divers auteurs locaux, aussi nous nous bornerons à citer "l'Edict portant suppression de la Cour souveraine de Bourg" qui a l'avantage de donner dans son long préambule un historique de la justice royale en Bresse et les raisons de la création puis de la suppression de cette cour. On notera aussi les allusions à la revendication du Dauphiné sur la Bresse et le Bugey, au moins jusqu'en 1615, en raison de l'échange de ces provinces contre le marquisat de Saluces dont la justice relevait du parlement de Grenoble :

    "Nous avons esté informés que led. Pays de Bresse, Bugey, et Valromey, ayant esté conquis par les armes de François I. sur son Oncle Charles Duc de Savoye, auroient esté unis pour la justice, et Finances au Ressort de nostred. Cour de Parlement, Chambre des Comptes, et General de nosdites Finances en Bourgongne par lettres Patentes, données à Crémieu au mois de Mars 1535 en sorte que lesdites Compagnies auroient dez ce moment jouy de ladite annexe de juridiction et ressort, et mesme que ledit Parlement à cause de l'afluence des procez qui luy venoient de Bourgongne, et desdites Provinces de Bresse, Bugey, et Valromey, auroit esté partagé en deux Chambres, par le moyen de la Chambre de la Tournelle, qui y auroit esté establie à cet effet, et en outre auroit souffert la création d'un President, et de six Conseillers Laics, que ladite Chambre des Comptes auroit aussi par la mesme raison souffert, tant ladite année 1537. qu'en 1543 et 1555 la création de deux Présidents, de deux Mes. des Comptes, d'un Correcteur, et d'un Auditeur, et qu'en l'année 1552. deux Trésoriers Généraux de France, auroient esté créés et establis à Dijon pour les Provinces de Bourgongne, et Bresse conjointement, que depuis en 1659. lesd. Pays auroient esté réunis aud. Duc de Savoye, par le traitté fait à Chasteau en Cambresis, sans réunir lad. Chambre des Comptes, que Bureau des Finances, à cause de ladite augmentation de Ressort, de sorte que lesd. Compagnies qui se trouvoient, et sont encore à présent surchargées desd. Offices n'auroient receu aucun dédommagement, en suitte de ladite restitution jusques en 1601 que Henry IV, nostre ayeul de glorieuse mémoire, ayant fait eschange dudit Marquisat de Saluces, avec lesd. Pays de Bresse, Bugey, Valromey, et Gex, il les auroit réunis de nouveau au Ressort et Juridiction du Parlement, Chambre des Comptes, et Finances de Bourgongne, nonobstant les oppositions des Officiers des Cours Souverains de Dauphiné, qui prétendoient que lesd. Pays eschangez tenans lieu du Marquisat de Saluces, qui estoit de leur ressort, devoit estre de mesme soumis à leur Juridiction, enquoy ils estoient mal fondez principalement à l'égard des Officiers desdites Compagnies de Bourgongne, parce qu'outre que lesdits Officiers de Dauphiné n'avoient jouy du Ressort dudit Marquisat que gratuitement, et de la pure grace des Rois, ils ne pouvoient dire qu'ils eussent jamais eû ny possedé le Ressort desdits Pays de Bresse, Bugey, Valromay, et Gex, qu'ils répétoient au lieu que lesdits Officiers de Bourgongne l'ayant dez long-temps acquis à titre onéreux, et possedé paisiblement l'espace de vingt quatre années, le redemandoient comme estant leur propre bien, lesquelles raisons servirent de fondement au lettres Patentes du mois de Mars 1615 données par le feu Roy Louys XIII. de glorieuse mémoire nostre très honoré Seigneur et Père, portant confirmation de l'union desdits Pays au Gouvernement et Ressort desdites Cours de Parlement, Chambre des Comptes, et Finances de Bourgongne ; Et que pour reconnoissance de ladite union, ledit Pays de Bourgongne outre les considérations cy dessus, auroit payé tant à luy qu'au Roy son prédécesseur, la somme de cent quatre vingt mille livres, depuis lequel temps il y auroit eû un si grand nombre d'Officiers créés et receus audit Parlement, tant lors de la reünion de la Cour des Aydes à iceluy que depuis, pareillement dans la Chambre des Comptes, et Bureau des Finances en 1626. 1630. 1633. 1637. 1639. 1640. et 1643. en considération de l'estendue de leur Ressort, dont ledit Pays faisoient une considérable partie, que lesdites Compagnies ont presque doublé depuis la première attribution qui leur en fut faite, néanmoins sur les avis qui nous auroient esté donnez que ledit Parlement, Chambre des Comptes, et bureau des Finances, joüissoient gratuitement desd juridictions et Ressort, Nous leur aurions par nostre Edit du mois d'Octob. 1658 verifié audit Parlement et Chambre des Comptes, confirmé l'union de Ressort, créé plusieurs Officiers dans lesdites Compagnies, et depuis par autre Edit du mois de Fevrier 1659, nous aurions pour diverses raisons révoqué cet Edit, et tous autres portant union à nostredite Cour de Parlement, Aydes Chambre des Comptes, et bureau des Finances de Dijon, de la Juridiction et Ressort desdits Pays de Bresse, Bugey, Valromey et Gex, et estably en la ville de Bourg une Chambre Souveraine, composée d'un nombre considérable d'Officiers, pour y rendre la Justice à nos Sujets desdits Pays, et connoistre et Juger Souverainement de toutes matières, dont connoissent nos Cours de Parlement, Chambre des Comptes, et Cours des Aydes de nostre Royaume, et en outre une généralité et Bureau des Finances, composé de plusieurs Officiers ensemble, des Receveurs et Conseillers Généraux des Finances et du Taillon.

    "Mais reconnoissant à présent que ledit establissement à esté fait au préjudice du droit de Ressort qui appartenoit ausd. Compagnies, et que bien loin d'apporter audit Pays l'utilité et la commodité que nous en aurions esperé, il se trouve au contraire préjudiciables à nos Sujets desdits lieux, qui ont tousjours receu une si exacte Justice des Officiers de nostredite Cour de Bourgongne, qu'ils ont raison de désirer comme il font, de se revoir dépendants de leur Ressort et Juridiction, ainsi que de celles de la Chambre des Comptes, et Bureau des Finances de la mesme Province : Et sçachant que nostre ville de Dijon qui en est la Capitale, et n'est considérable que par les Cours Souverains qui y sont establies, reçoivent beaucoup de prejudice et notable perte par la désunion dud. Ressort de Bresse, Bugey, Valromey, et Gex, dont les habitans avoient accoustumé de passer par la Bourgongne, allant en ladite Ville et retournant d'icelle, qui proffitoit du séjour qu'ils y faisoient pour leurs affaires, ce qui est absolument cessé depuis l'establissement de ladite Cour de Bourg, qui en a rompu le commerce et privé ladite ville de Dijon de l'abondance des vivres et denrées qui y fondoient auparavant.

    "Nous avons par cettuy nostre présent Edit perpétuel et irrévocable, esteint et supprimé, esteignons et supprimons ladite Cour Souveraine, cy devant establie dans nostre ville de Bourg par Edit du mois de Fevrier 1659 […]".

    Les officiers de la Cour souveraine de Bourg furent alors nommés au Parlement de Metz qui venait d'être créé.

    Le bailliage-présidial au XVIIIe siècle et le Grand Bailliage de Bresse

    Bourgogne, décidèrent à l'unanimité, qu'ils suivraient la nouvelle jurisprudence tracée par cette décision. En conséquence, alléguant l'ancienneté de leur juridiction d'où dépendaient trois bailliages, ils se proclamèrent cour présidiale. Cette petite satisfaction d'amour propre ne changeait que le nom de la corporation ...".

    Parmi les mesures plus importantes, il faut signaler surtout l'édit royal du 4 mars 1775 qui renforçait le pouvoir des présidiaux, dans le but louable de permettre aux plaideurs "de ne point abandonner leurs familles, leurs affaires domestiques, et de n'être point obligés à des voyages longs et couteux pour solliciter et obtenir justice sur des affaires légères et d'un modique intérêt." Cela était encore plus vrai pour les Bressans ou les Bugistes contraints à effectuer le long voyage de Dijon. Cet édit permettait dorénavant aux présidiaux de juger en dernier ressort les matières civiles jusqu'à deux mille livres de principal, et par provision, jusqu'à quatre mille (au lieu de 500 et 1000).

    La même année la compétence territoriale du présidial s'accrut notablement en raison de l'union de la Principauté de Dombes au ressort du parlement de Bourgogne. L'édit d'union (38), de juillet 1775, portait en effet dans son article V : "N'entendons comprendre dans les articles ci-dessus [appel des jugements en matières domaniale au parlement de Dijon] les affaires civiles et criminelles qui seront de nature à pouvoir être jugées présidialement et pour lesquelles Nous ordonnons que notre principauté de Dombes et la Sénéchaussée de Trévoux ressortiront au Présidial de Bourg-en-Bresse, dans les mêmes cas et de la même manière que les différents bailliages et Sénéchaussées ressortissent aux autres présidiaux du ressort de notre Parlement de Dijon".

    Cette union importante entraîna un surcroît de travail pour les juges, ce qui nécessita la création d'une seconde chambre.

    Enfin, à la veille de la Révolution, le roi voulant une nouvelle fois abréger la procédure et réserver l'appel aux parlements pour les affaires de très grande importance, créa les grands bailliages, sans pour autant toucher aux justices seigneuriales qui étaient maintenues :

    "Nous n'interdisons d'ailleurs à aucun de leurs Justiciables le recours à leurs Juridictions [justices seigneuriales], quand les deux parties jugeront à propos de s'y soumettre. Mais, en laissant à tous ceux de nos Sujets domiciliés dans le district de ces Justices inférieures, la liberté d'y défendre leurs droits, à la charge de l'appel, Nous leur donnons en même-temps la faculté de franchir ce premier degré de Juridiction, et Nous autorisons chacune des Parties à traduire l'autre immédiatement aux Tribunaux de la Justice royale. Ces Tribunaux de première instance seront nos Présidiaux, que Nous composons d'une manière proportionnée à l'accroissement de leurs pouvoirs, et Nous leur attribuons le droit de juger en dernier ressort, jusqu'à la concurrence de la somme de quatre mille livres.

    "Mais au dessus de ces premiers Présidiaux, Nous avons senti la nécessité d'en établir de Supérieurs dans les ressorts de toutes nos Cours, pour tenir le milieu entre les procès qui peuvent être terminés au premier degré de la Juridiction royale, et les Causes dont la décision doit être réservée à nos Cours ; telle est la destination des Grands-Bailliages que Nous instituons ; en conséquence Nous avons soin de les former de la manière la plus propre à inspirer une confiance universelle à nos Peuples, et Nous les autorisons à juger en dernier ressort toutes les contestations dont le fond n'excédera pas vingt mille livres."

    Cet édit faisait donc de ces nouvelles cours -dont l'une fut érigée à Bourg- les équivalents de petits parlements. Nous n'en parlerons pas plus, car elles n'existèrent que pendant deux ans environ, mais elles servirent de circonscriptions pour la convocation des Etats généraux.

    II. Le droit appliqué par le bailliage-présidial de Bourg : "L'usage de Bresse"

    La tradition voulait, sous l'Ancien Régime, que le nouveau possesseur d'une terre ou d'une province confirmât les coutumes antérieures à l'annexion, qui restaient ainsi en vigueur tant qu'une nouvelle législation ne venait pas modifier la situation existante. Cette tradition se trouve à l'origine de la complexité croissante du droit local jusqu'à la Révolution. Les pays de l'Ain, ou, comme l'on disait au XVIIe siècle, "les pays échangés avec le marquisat de Saluces en 1601", n'ont pas échappé à ce phénomène et leur droit se trouve être un subtil amalgame de droits plus anciens, sans cesse enrichi par la jurisprudence.

    Le droit romain

    A l'origine, et à la différence de la Bourgogne à qui ils furent réunis en 1601, la Bresse et le Bugey faisaient partie des pays de droit écrit, la frontière étant situé juste au nord, entre l'Ain actuel et la Saône-et-Loire et le Jura. L'essentiel du droit en vigueur dans cette région était donc le droit romain, tel qu'il était exposé dans les grands recueils tels que les Digestes et le Code.

    Ce fonds juridique possédait le privilège de l'antériorité et la supériorité de l'écrit. Il demeura donc toujours la référence fondamentale du droit local, malgré les apports postérieurs que l'on va évoquer et les auteurs locaux s'y sont toujours reportés en priorité.

    Le juriste bressan Collet atteste bien cette attitude générale :

    "Je rapporte nos Statuts à la Jurisprudence des Loix Romaines autant que je le puis : non seulement parce qu'elle est la plus parfaite, mais encore parce qu'elle a été conservée dans ce Païs où les Romains avoient établi une Colonie avec les mêmes Droits et les mêmes Loix qu'on observoit à Rome même : ce qui n'est pas dans le reste des Gaules, sinon en une partie du Dauphiné. Car quoy que Tolose conserve par une espece d'ambition les Loix Romaines, sur ce fondement qu'elles y ont été publiées et gardées depuis tres-long-temps, elle doit cèder à la Colonie de Lyon, soit par l'Antiquité du Droit Italique, dont Tolose ne joüissoit pas, soit pour l'informité des Lois et de la Jurisprudence, étant certain que les Rois des wisigots qui ont regné dans le Languedoc avoient fait des Loix bien opposées à celles des Romains, au lieu que les Bourguignons qui ont regné en ce Païs ont soigneusement conservé les Anciens Habitans dans leurs anciens droits, et en particulier ils leur ont conservé leurs Loix et Jurisprudence Romaine.

    "Je fais voir par mes Commentaires sur ces Statuts, que tout ce que nous avons de singulier dans le Stile, vient de la pratique des Romains que nous avons conservée, et dont les autres Provinces se sont éloignées. Il est donc bien juste que les Juges préposés pour décider les differens de mes Compatriotes se conforment au Droit Romain d'où nos Statuts sont tirés ; S'ils s'en écartent nous devons regarder leurs Arrêts comme des coups de la fortune des Particuliers, qui ne doit pas faire la loy à la Province, mais seulement inspirer de la crainte du Procés, et apprendre qu'un Homme sage ne doit pas facilement hazarder son bien sur son bon droit et sur les conseils des Avocats".

    Le droit coutumier bressan

    Le droit romain ne subsista pas dans toute sa pureté, mais il fut complété par des coutumes locales, non écrites, qui vinrent s'ajouter peu à peu, surtout dans des domaines spécifiques à la région, pour lesquels le droit romain pouvait être quelque peu lacunaire : "Nous avons beaucoup de matières qui se décident par la coustume du Pays, quoy qu'elle ne soit point rédigée par escrit", écrivait Samuel Guichenon. Ces particularismes locaux expliquent les divergences qui se manifestèrent peu à peu entre le droit bressan et le droit bugiste et sur lesquels nous reviendront dans l'introduction des fonds du bailliage de Bugey.

    On cite généralement la coutume de Villars sur les étangs, dont le même Guichenon a conservé une version dans son Histoire de Bresse, telle que l'avait établie un notaire après enquête en 1502. La commande (appelée ailleurs "croît" ou "bail à cheptel") avait aussi des règles propres à la Bresse : "Pour les commandes, on se règle par la coustume de Baugé (Bâgé) : d'où vient que presque en tous les contracts de commandes, les notaires insèrent cette clause : Aux us et coustumes de Baugé". Les autres domaines sur lesquels portaient principalement ces coutumes étaient la mainmorte et la tailliabilité, la dot, et les ventes aux enchères ou subhastations. Pour donner

    un exemple, à propos de la mainmorte, citons encore Guichenon qui écrivait :

    "Quant à la mainmorte, il y en a de deux sortes, la personnelle et la réelle ... Ce droit de mainmorte est un reste de l'esclavage tant pratiqué chés les romains, auquel pourtant il n'y a pas tant de sévérité qu'en beaucoup de coustumes du Royaume, ou ces servitudes sont en usage, parce que parmy nous l'homme taillable peut disposer de ses biens par toutes sortes d'actes et d'aliénations fors par testament ou donation à cause de mort, et l'homme franc de mesme qui a des fonds de cette qualité. De maix ou villages taillables, où la mainmorte se contracte par la seule habitation, nous n'en avons aucun sinon les villages d'Esnes et Asnières en Bresse qui appartiennent au Comte de Montrevel, et le village de Boz qui dépend du duché de Pont-de-Vaux, où quiconque demeure domicilié par an et jour devient homme tailliable et de mainmorte".

    Ces coutumes ne furent jamais mises par écrit malgré les velléités de François Ier en 1536, et d'Henri IV après l'annexion de la Bresse en 1601. Cette carence fut déplorée par la suite par les juristes des XVIIe et XVIIIe siècles, qui les étudièrent abondamment dans la mesure où elles dérogeaient aux autres droits tout en étant peu sûres dans leur énoncé :

    "Il est évident que cette rédaction auroit produit les plus grands avantages ; on eût vu cesser l'estrême variété de ces usages, leur opposition même sur des points très essentiels entre ce que l'on pratique en Bresse et ce que l'on observe dans le Bugey. On auroit généralisé les dispositions des coutumes locales autant qu'il eût été possible, sans blesser les intérêts des particuliers : elles auroient acquis les trois caractères dont parle l'auteur de l'Esprit des loix, en faisant mention des différentes coutumes de France ; elles furent écrites dit-il ; elles furent plus générales ; elles reçurent le sceau de l'autorité royale. Nous n'éprouverions pas aujourd'hui des difficultés qui naissent du peu d'uniformité de ces usages ; nous ne serions point arrêtés presque à chaque instant par les différences qu'ils présentent dans les diverses seigneuries de la même contrée ; nous n'hésiterions pas sur la préférence que l'on doit accorder aux uns et aux autres des auteurs qui ne se concilient point sur le même objet ; enfin on ne disputeroit plus sur les motifs de plusieurs arrêts rendus après des enquêtes ou sur des actes de notoriété".

    Le droit municipal (XIIIe - XIVe siècles)

    Au XIIIe siècle une autre forme de droit prit naissance avec les chartes de franchises. On l'appela aux XVIIe et XVIIIe siècles, le droit municipal, ou les lois municipales. Malheureusement ces chartes ne furent pas toutes conservées ou du moins ne furent imprimées qu'en petit nombre et seulement dans l'ouvrage de Guichenon et comme pour les coutumes, les juristes regrettèrent cette carence :

    "Guichenon dans son Histoire de Bresse ne nous a transmis que peu de chartres de communes et de privilèges des villes ; si nous avions toutes celles d'établissement de ces franchises dont parle Collet et qui comprenoient à ce qu'il dit un espace de terrein considérable, dans lequel les habitans étoient francs et de condition libre, ces chartres suppléeroient au silence des statuts et au défaut des loix". Ces diplômes nous instruiroient de celles que les seigneurs donnèrent à leurs sujets en les affranchissant ; on ne sauroit douter que ceux-ci n'aient été obligés de se soumettre à ces loix et qu'elles n'aient été formées ; Berroyer et Delaurière disent que c'est une vérité prouvée soit par les chartres de commune qui ont été les premières sources de nos coutumes générales, soit par celles d'affranchissement qui nous restent et d'où sont venues nos coutumes locales. Ils en citent pour exemple la 1ère partie de celles du Berry publiées par La Thaumassière. On doit en effet, suivant les énonciations de la préface de la Bibliothèque des coutumes, regarder "les chartres dans les pays de droit écrit comme une loi municipale […] Elle peuvent être mises au rang des autres coutumes […]. Si ces chartes, continue-t-on, n'ont pas autant de force […], elles peuvent au moins être considérées comme les statuts observés en Allemagne et dans l'Italie où les loix romaines ont le plus d'autorité". Privés de ce secours et de loix précises sur la plupart des usages de la Bresse et du Bugey, nous sommes réduits, pour une multitude de questions qui en sont dépendantes, à consulter les ouvrages des anciens jurisconsultes de ces provinces et à nous décider d'après quelques arrêts qui ont donné des interprétations".

    On a bien sûr conservé plus de chartes de franchises que les sept que donne Guichenon dans ses Preuves, et un certain nombre d'autres furent publiées aux XIXe et XXe siècles. Mais il faut reconnaître que leur manque de publicité sous l'Ancien Régime les a empêchés de jouer un rôle important dans la formation du droit bressan des XVIIe et XVIIIe siècles.

    Le droit savoyard : les Statuts de Savoie (1430)

    L'acquisition progressive du Bugey et de la Bresse, par les comtes de Savoie depuis le XIe siècle jusqu'au début du XVe siècle, ne fit pas disparaître les coutumes bressanes, mais introduisit parallèlement, lorsqu'il n'y avait pas concurrence, le droit savoyard fortement inspiré lui-même du droit écrit.

    L'introduction du droit, de la procédure et des lois de Savoie se fit peu à peu par des codes ou statuts : les statuts de Pierre II traitaient de la jurisprudence et établissaient des juges dans les châtellenies. Les statuts de 1379 contenaient plusieurs dispositions juridiques. Puis Amédée VIII publia des premiers textes en 1403, très importants pour la justice et l'administration, et d'autres, en 1423, qui reprennaient en partie ceux de 1379 et tendaient à accélérer la procédure. Enfin en 1430 il publiait les fameux Statuta Sabaudiæ, "monument juridique considérable qui dépasse de loin les codifications jusqu'alors esquissées et dont certaines dispositions resteront en vigueur jusqu'au XVIIIe siècle". "Les statuts accentuent considérablement la centralisation de l'état, systématisant les règles administratives et assurant aux plus humbles sujets une justice plus rapide et plus efficace. Restés pendant de longues années à la base du droit du duché, un historien italien les a qualifiés de "borne milliaire dans l'histoire de la législation savoyarde". Ces Statuts ne forment donc pas un véritable traité de droit puisqu'ils abordent aussi des sujets très divers d'ordre administratif, religieux ou social, mais les dispositions juridiques qu'ils renferment, furent suffisamment importantes - et fortes de par leur caractère écrit- pour qu'ils servissent de base au droit local de la Bresse et du Bugey, même après l'annexion de la Bresse à la France en 1601, puisque cette annexion, comme nous l'avons dit, ne fit pas table rase du droit antérieur.

    Les statuts de 1430 furent complétés par les successeurs d'Amédée VIII, par des édits ou ordonnances qui restèrent toujours applicables dans la Bresse et le Bugey tant qu'aucun texte nouveau ne venait les remplacer, et les juristes bressans du XVIIe siècle continuèrent à les commenter :

    "Plusieurs autres princes successeurs d'Amédée ont fait des réglements qu'ils ont appelez statuts, comme la duchesse Yolande de France, tutrice du Duc Philibert premier en 1475, touchant l'aliénation des fiefs et la réformation du stile de la justice en 1477. […] Philibert premier fit aussi des statuts en 1480. Blanche de Montferrat sa veuve en fit en qualité de tutrice de Charles Jean Amé son fils en 1491 et en 1495. Le duc Philippe fit publier en 1497 ses statuts où il n'oublia pas de se dire Comte de Baugé et de Villars, par ce que ces terres avoient fait son appanage. Philibert second fit les siens en 1503 et Charles II en a fait aussi. Depuis le rétablissement de Philibert-Emmanuel, les ducs de Savoie prirent un stile plus haut, ils parlèrent du même air qu'avoient fait les rois de France qui avoient joui longtemps de leurs états : en goutant l'indépendance de l'Empire, ils ne parlèrent plus de statuts, ils appellèrent leurs réglements des Edits, lesquels ils confirmèrent par leur autorité souveraine. Je rapporteray tous ces règlements qui ont été faits soit sous le nom de statuts soit sous celui d'édits dans les lieux où ils serviront à l'explication des statuts du duc Amédée […]".

    Parmi les édits postérieurs aux statuts, qui furent appliqués en Bresse pendant tout l'Ancien Régime, on peut citer par exemple ceux d'Emmanuel-Philibert sur les inscriptions en 1563, ou de Charles-Emmanuel sur le bénéfice d'inventaire, en 1598.

    1601 : L'annexion de la Bresse à la France. La confirmation des coutumes de Bresse

    La conquête de la Bresse et du Bugey par Henri IV et le maréchal de Biron, puis l'échange de ces provinces contre le marquisat de Saluces -qui appartenait à la France mais que le duc de Savoie occupait- (traité de Lyon de janvier 1601), auraient dû remplacer le droit bressan par le droit français, mais selon l'habitude propre à l'ancien régime, le nouveau possesseur confirma les coutumes juridiques locales en plusieurs occasions que rapporte le juriste Pierre de Granet.

    La confirmation des privilèges de Bresse par le roi le 29 novembre 1601 (sous forme de demandes et de réponses) portait : "Qu'il y a plusieurs coustumes ausdits païs de Bresse, Beugey, Verromey et Gex, de tout temps observées, tant pour le regard des mainmortes, censives et autres semblables, et toutesfois parce qu'elles ne sont rédigées par escrit, en surviennent souvent différents et procès tant sur la preuve que interprétation. Plaira à sa Majesté ordonner que leurs coustumes seront rédigées par escrit, et à ce commettre le sieur Granet, Président au dit Siège Présidial, appellez à ce les gens des trois estats et advocats plus anciens des dits lieux." Réponse du roi : "Sa Majesté députera personnes notables du Parlement ausquelles elle donnera commission expresse pour vacquer à ce qui est requis sur ce par les suppliants." On a dit plus haut que cette rédaction des coûtumes n'eut malheureusement jamais lieu.

    Les lettres patentes de novembre 1601 confirmant les privilèges de Bresse, sont plus précises sur les questions juridiques et établissent assez clairement les rapports entre l'ancien usage bressan et savoyard et la législation française :

    "Voulons outre ce, et nous plaist que l'usage et observation du droict escrit, comme aussi du stile et reiglement de la justice, donné par la cour de parlement, cy-devant establie par nos predecesseurs roys de France à Chambery, lorsqu'ils possédoient la Sauoye, soient continuez, sauf ce qui concerne les augments des femmes, les devoirs seigneuriaux et feudaux, pour lesquels l'ancienne coustume des dits païs aura lieu, ensemble le reiglement et le stile observé es dits païs sur le fait des criées et subhastations, l'édit et reglement du mois de juin mil cinq cent quatre vingt et sept, sur le payement et prestation des servis, cens, rentes annuelles et foncieres, anciennes accoustumées et statuts du païs, selon et ainsi que nous les ferons cy-apres rediger par escrit, et l'édit fait pour la confection des inventaires, pour estre le tout suivy et gardé sous nostre authorité, ainsi qu'il a esté bien et deuëment par le passé et auparavant le dit eschange. […] Voulons aussi et nous plaist, que tout ce qui s'est fait jusques à present en vertu des édits, statuts, reiglements et ordonnances des ducs, et autres précédents seigneurs et possesseurs des dits païs notamment despuis l'an mil cinq cent cinquante-neuf, comme aussi tous arrests et jugements contradictoirement donnez au dit senat de Chambery ayent lieu et demeurent en leur entier, et premiere force et vertu, et tout ce qui s'est ensuivy en suitte ou execution d'iceux, jusques au temps du dit traité de paix, sans qu'il soit loisible a aucun de les révoquer en doute, les repugner, retracter ou debattre, sinon toutesfois pour ce qui est des dits arrests par les voyes de droit, et permis par les ordonnances.

    "Et pour le regard desdits édits et ordonnances, en sera usé pour l'advenir ainsi que par le passé, en ce qui sera conforme et ne derogera à nosdites ordonnances, sauf toutesfois ceux dont particulièrement tant par cestuy nostre edit, et autres par nous récentement faits sur les remonstrances de nos subjects de Beugey et Verromey, nous avons permis, accordé et ordonné, l'entier et libre usage, et observation, pour le bien, utilité et soulagement de nos subjects d'iceux païs, et desquels aussi ceux de Bresse pourront jouyr et user bien et deuëment, ainsi qu'ils ont peu faire par le passé seront de mesmes : et aurons ordonné et ordonnons estre ores, et pour l'advenir gardées nos ordonnances, et reiglement sur les defenses par nous faites à tous huissiers et sergents de saisir, et enlever, ny transporter, ou exposer en vente aucuns utenciles, instruments, outils, ou autres choses servants au labourage et culture de la terre, comme aussi ceux concernants les salaires, frais et despenses desdits huissiers, sergents, ou autres faisants la recepte et recouvrement de nos deniers. Tous lesquels edicts et ordonnances dont nous continuons presentement l'usage, comme il est cy-dessus ordonné, seront expressement publiez, leus, et proclamez par toutes nos jurisdictions, et autres sous nostre nom et authorité, à fin que personne n'en prétende cause d'ignorance, et chacun y satisface, sur les peines qui y sont déclarées."

    La jurisprudence du parlement de Bourgogne

    Devant cet amalgame de droits parfois incomplets, peu connus ou même contradictoires, les juges ont eu souvent à trancher par eux-mêmes après mûres réflexions. Ces jugements ont peu à peu constitué une jurisprudence qui est devenue elle-même une source importante du droit bressan à laquelle se référaient volontiers les juristes locaux. Cette jurisprudence provenait du sénat de Savoie (avant 1601), du bailliage de Bresse, mais surtout du parlement de Bourgogne, où venait d'ailleurs siéger l'élite des hommes de loi bressans. Antoine Favre recourut dans ses ouvrages à la jurisprudence savoyarde. Mais Philibert Collet fut l'un des premiers à utiliser abondamment celle du parlement de Dijon :

    "J'ay eu la communication des Registres du Parlement de Dijon, j'ay fait un Recüeil de tous les Arrêts que j'y ay trouvés rendus sur des affaires de ces Païs de Bresse, de Bugey et de Gex, le nombre en est infini, puisque j'ay recüeilli ceux de presque tout un Siècle. J'ay tâché de découvrir les motifs des Arrêts, c'est pour cela que j'ay négligé ceux qui ont été rendus dans les Audiences, parce qu'à moins que d'y avoir assisté, on ne peut pas, par la lecture des qualités d'un Arrêt, déviner les moyens et les raisons des Parties. J'avoüe que j'en ay trouvé des contraires les uns aux autres, j'en ay trouvé que je puis dire tres irréguliers, et contraires à nos Loix. J'ay vû les changements de la Jurisprudence et de la Pratique qui ont varié plusieurs fois, j'ay marqué le temps, et les causes de quelques-uns de ces changemens, et j'ay tâché de réduire la Jurisprudence des Arrêts que je cite, à celle des Loix autant que je l'ay pû, j'ay méprisé ceux qui sont contraires à nos Loix, à nos Statuts, ou aux Ordonnances, comme des Jugemens rendus par caprice, et qui ne doivent préjudicier qu'aux Parties assés malheureuses de soufrir les éfets de la précipitation de quelques juges, sans que leur malheur doive être tiré à consequence pour changer le stile et bon ordre de notre Province".

    Un siècle plus tard, Perret reconnut lui aussi l'importance de cette source du droit :

    "D'ailleurs, la Jurisprudence du Parlement de Dijon […] doit nous servir de guide dans plusieurs cas ; elle forme un droit nouveau sur différens points. Je dois avouer que deux Jurisconsultes également judicieux et tous les deux très-savans, se sont occupés à détailler une partie de cette Jurisprudence dans d'excellens ouvrages récemment publiés, qui ont eu beaucoup de succès. Ils sont dignes en effet des plus grands éloges ; l'un et l'autre rappellent plusieurs passages des Auteurs anciens sur les Usages établis en Bresse et en Bugey ; ils désignent quelques-uns des changemens survenus depuis que ces Provinces ont été réunies au Royaume de France".

    Perret précise dans une note qu'il s'agissait de "M. Bouhier dans ses Observations sur la Coutume de Bourgogne, et M. Bannelier dans ses Notes sur diverses matières de Droit François, à l'usage du Duché de Bourgogne ; on prétend qu'une partie de celles qu'il a données sur les Usages de ces mêmes Provinces, lui avoit été communiquée par M. Roger l'aîné, ancien Avocat au Parlement de Dijon, trèsinstruit, et singulièrement sur ces matières. Ils avoient l'un pour l'autre les sentimens d'estime que se doivent respectivement des hommes également distingués par leur probité, leur savoir, leur mérite, et que le public conserve pour tous les deux".

    Les juristes bressans avaient aussi à leur disposition les Arrêts notables du Parlement de Dijon, ouvrage dû à François Perrier. Dans ce volumineux recueil imprimé de deux volumes in folio, paru en 1738, on trouvera de nombreuses références de jurisprudence locale sur la taille, les successions (testaments, substitutions, droits de la veuve), la dîme, les lods, ou encore les subhastations.

    III. Les hommes de loi bressans

    Dans l'exercice de la justice, deux catégories d'hommes ont joué un rôle déterminant : d'une part les officiers de haut rang qui ont fait fonctionner les institutions et, d'autre part, ceux qui, parmi ces officiers, ont fait oeuvre de juristes et qui ont élaboré le droit tel que nous avons tenté de le décrire à grands traits.

    Les officiers du bailliage-présidial de Bourg

    Des listes d'officiers du bailliage-présidial, pour les différentes charges, ont été déjà données par de Combes. Elles sont assez fournies, mais elles demanderaient à être complétées par les innombrables provisions ou réceptions d'offices conservées dans les divers registres du bailliage, et il conviendrait aussi de parler des greffiers dont le travail a été déterminant dans la production et la conservation des archives judiciaires. Mais il s'agit là d'un travail considérable qu'il ne nous est pas possible d'aborder ici.

    Contentons-nous de rappeler quelques grandes lignes :

    La composition du personnel du bailliage présidial avait été fixée au départ, par l'édit de création de 1601 : "pour l'administration duquel siege, et la distribution de la Justice à nosdits sujets, avons par cettuy nostre mesme edit, créé, institué, et erigé en chef et titre d'office formé, créons, instituons, et érigeons les estats et offices d'un Président présidial, et lieutenant civil, et criminel, et de huit conseillers, l'un clerc, et les autres laics, pour [être] au nombre requis par nos ordonnances, et conformement aux Edits et règlemens cy-devant faits pour la juridiction des autres sièges Presidiaux, et des Sénéchaussées, et Bailliages de nostre Royaume".

    Les baillis, qui avaient donné leur nom aux bailliages, avaient en effet perdu depuis longtemps toute fonction judiciaire. Ils avaient été remplacés, pour rendre la justice, par des officiers de robe longue, les lieutenants généraux civils, et par les lieutenants généraux criminels, eux mêmes suppléés par les lieutenants particuliers civils et les lieutenants particuliers assesseurs criminels.

    Le présidial avait à sa tête un premier président assisté d'un second président.

    En 1761, les deux offices de premier président et de lieutenant général civil furent unis, de même que ceux de second président et de lieutenant général criminel. Ces mêmes magistrats présidaient à la fois le présidial et le bailliage, avec le titre de lieutenant général.

    Le nombre des conseillers, qui avait été fixé à huit (y compris le conseiller clerc), par l'édit de 1601, fut porté à 9 en 1632, puis à 12 en 1761. Rappelons que les conseillers sont des magistrats qui siègent avec le président "qu'ils remplacent même dans certains cas et qui est obligé de prendre leurs opinions sur le jugement des affaires qui se présentent à décider". Le conseiller-clerc représentait l'église dans le tribunal séculier, mais ne pouvait participer à un jugement criminel lorsqu'il était susceptible de peines afflictives.

    Le procureur du roi est "un officier qui doit, dans les sièges royaux, remplir les mêmes fonctions que le procureur général au Parlement, et qu'on nomme aussi, à cause de cela, substitut de M. le procureur général. C'est le procureur du roi qui est chargé de déférer et de poursuivre en justice les crimes qui demandent une punition publique ; il est aussi chargé de veiller à la conservation des intérêts du roi, des mineurs, de l'église et du public". Il remplit donc le rôle de ministère public.

    L'avocat du roi est "un magistrat à qui les avocats des parties communiquent les causes où le roi et le public, l'église et les mineurs ont intérêt, qui en rend compte aux juge à l'audience et donne ses conclusions après avoir ouï les défenseurs des parties".

    Il faut aussi ajouter à ce personnel, les greffiers et les huissiers audienciers, une vingtaine de procureurs et une trentaine de sergents. Les droits perçus par tout ce personnel étaient très contrôlés par le pouvoir royal. Parmi les textes réglementaires on peut citer un "Arrest de la Cour de Parlement de Bourgogne contenant règlement des droits des procureurs au Siège présidial de Bourg et Bailliage de Bresse" du 21 février 1731. Quant aux avocats, ils étaient en nombre illimité ; en 1787, 59 étaient inscrits au tableau ; onze autres furent reçus dans le courant de l'année.

    Les officiers du bailliage présidial formaient une compagnie dont le registre de délibérations a malheureusement disparu, mais dont on connaît la description.

    Les juristes bressans

    Parmi les hommes de loi du bailliage-présidial, nous insisterons un peu plus sur les juristes dont nous avons déjà vu l'oeuvre de codification de l'usage bressan, tâche difficile qu'aucun ne semble avoir pu mener à bien, tant elle était ardue et immense. Cette entreprise démontre cependant que les hommes de loi bressans possédaient une culture juridique très étendue qui infirme les idées toutes faites sur la valeur de la justice avant la Révolution.

    Antoine Favre

    Celui que l'on a appelé le "Législateur de la Bresse", naquit à Bourg le 5 octobre 1557. Elève des Jésuites de Turin, il maniait le latin comme sa langue maternelle. Travailleur infatigable, il fut reçu docteur à l'âge de 23 ans, entra au sénat de Savoie et entreprit alors la rédaction d'ouvrages de droit en faisant paraître, dès 1580, les trois premiers livres des Conjecturarum juris civilis, qui commencèrent à faire sa réputation, et à propos desquels Cujas dit de lui : "Ce jeune homme a du sang aux ongles ; s'il vit âge d'homme, il fera bien du bruit". Il vécut âge d'homme et il fit grand bruit. Par dérogation, Charles-Emmanuel de Savoie le nomma juge mage de Bresse le 3 novembre 1584, alors qu'il n'avait que 27 ans. Il ne garda cette charge que 3 ans, puis vint siéger au sénat de Savoie (1587). C'est aussi à cette époque qu'il acquit la seigneurie de Pérouges avec le titre de baron. En 1596, le duc de Savoie-Nemours l'appela à la présidence du conseil de Genevois, ce qui lui permit de se lier avec saint François de Sales avec qui il fonda l'Académie florimontane. En 1610 il fut nommé premier président du Sénat de Savoie, puis en 1617, gouverneur de la Savoie. Son mérite était connu du roi Louis XIII lui-même qui lui offrit, en 1619, la présidence du parlement de Toulouse qu'il refusa. Il mourut à Chambéry le 28 février 1624. Il avait épousé sa parente Benoîte Favre de Meximieux qui lui donna huit enfants, dont le plus célèbre fut l'illustre Claude Favre de Vaugelas, l'un des fondateurs de l'Académie française.

    L'oeuvre d'Antoine Favre est impressionnante et forme huit gros volumes in-folio, mais le plus connu, sinon le plus important, de ses ouvrages reste le Code fabrien ou Codex fabrianus definitionum forensium et rerum in sacro Sabaudiae senatu tractatarum […], dont la première édition parut à Genève en 1606. Cet ouvrage donnait la synthèse du droit suivi dans les Etats de Savoie, et par conséquent en Bresse, grâce à une connaissance approfondie du droit romain et des coutumes locales. Cependant les juristes purement bressans, s'ils lui vouaient tous une grande admiration, regrettaient qu'il n'ait pas été plus explicite dans ses choix :

    "Le President Favre tient un des premiers rangs, et parmi nous c'est le premier, nous l'étudions, nous le consultons et nous le suivons comme notre oracle. Il a fait des ouvrages où il a tourné la Jurisprudence de toutes les manieres ; cependant c'est l'usage qui a decidé de la fortune de ses Livres ; pendant sa vie son Code fut le moins estimé, parce que l'usage où le gout de son siècle étoit l'érudition, l'école, et les citations ; les prejugez du Senat n'étoient prises pour des decisions de la Jurisprudence et pour des reglemens assurez que pour les parties qui étoient obligez de s'y soumettre. Le public, ni le President même n'avoient pas ce respect pour les Arrests. Il les cite souvent comme des faits arrivez et qui reglent si peu ce qui se doit pratiquer, qu'il appuye le sentiment contraire aux Arrêts qu'il cite. Depuis le goût à changé : on ne lit plus que le Code de Monsieur Favre, ses plus grands travaux sont mis dans l'oubli. Son Livre favori et qu'il n'a pû achever des erreurs qui se sont glissez dans la pratique, est dans la poussiere, pendant que son Code a le dessus, et que par ce Livre seul on se souvient du merite de l'Auteur qui ne seroit peut-être pas connu au Palais, comme il l'est ailleurs, sans ce livre".

    Perret abonde lui-aussi dans ce sens :

    "Il en connut aussi parfaitement tous les usage [de la Bresse] que les loix romaines, mais il ne traite pas de tous ; il n'explique presque jamais, avec détail, ceux qui déterminent sa décision ; souvent il n'en parle qu'en discutant d'autres matieres, dans ses définitions de droit, ou que dans des notes extrêmement courtes. Plusieurs autres Auteurs ont présenté les articles qui exigeoient de grandes explications, avec beaucoup de briéveté ; presque tous se sont bornés à copier ce que M. Favre nous a transmis dans son Code, qui est, en effet, le meilleur ouvrage de ce Magistrat ; si ceux-ci avancent quelques propositions nouvelles, il est rare qu'ils les appuient par des citations, ou par des raisonnemens capables d'accréditer leur avis particulier.

    L'oeuvre qu'Antoine Favre avait le plus à coeur de terminer, était son Jurisprudentia papinianea qui reprenait en ordre méthodique, tout le contenu des livres des Pandectes. Il comptait beaucoup sur son fils aîné René, pour l'achever, mais ce fut donné au célèbre Domat de faire paraître un ouvrage équivalent sous le titre Loix civiles dans leur ordre naturel.

    Pierre de Granet

    Cet autre juriste du début du XVIIe siècle n'était pas bressan d'origine, mais dauphinois, de Valence, issu d'une famille du Viennois. Conseiller au parlement de Grenoble en 1556, il s'établit à Bourg, et acheta le château de Painessuit qu'avait fait reconstruire peu auparavant le fameux Pardaillan ( Guichenon le posséda par la suite) ; il était aussi seigneur de Costigloles et du Châtelard. Son unique fille, Anne, épousa en 1613 Melchior de La Poype, chevalier, seigneur de Saint-Jullin. Au bailliage-présidial de Bourg, Pierre de Granet cumula les charges "de président et conseiller garde des sceaux au présidial, et de lieutenant général civil et lieutenant général criminel au bailliage jusqu'en 1620, époque à laquelle il vendit ces deux dernières charges. Une mort subite, le 20 novembre 1629, l'empêcha de terminer son livre. Il fut inhumé dans la chapelle du présidial à l'église Sainte-Claire, où se trouvait son épitaphe".

    Cet éminent juriste a été passablement oublié par les biographes de l'Ain, peutêtre en raison de son origine dauphinoise. Son oeuvre principale est le Stylus regius qui reproduit les principaux textes constitutifs de l'administration judiciaire royale en Bresse (mais le texte de l'édit de création du bailliage-présidial de Bourg s'y trouve curieusement omis). Cet ouvrage a été malheureusement publié après la mort de l'auteur, et il manque sans doute un avant-propos dans lequel il aurait explicité le but de son travail. Les larges extraits que nous avons donnés de l'édit de suppression de la cour souveraine de Bresse (1661) peuvent cependant apporter quelques lumières sur le sujet. On y voit que pendant les premières années qui suivirent le rattachement de la Bresse et du Bugey à la France, le parlement du Dauphiné revendiqua la juridiction du nouveau bailliage présidial de Bresse, et que le rattachement au Parlement de Dijon se fit "nonobstant les appositions des Officiers des Cours Souveraines de Dauphiné, qui prétendoient que lesd. Pays eschangez tenans lieu du Marquisat de Saluces, qui estoit de leur ressort, deuoit estre de mesme soumis à leur juridiction".

    C'est dans l'optique de cette contestation qu'il faut situer l'oeuvre de Pierre de Granet, qui s'efforce d'établir quel était le style royal (stylus regius) utilisé dans le marquisat de Saluces, pour l'appliquer, principalement pour les cas royaux, à la Bresse et au Bugey qui avaient été échangés contre cette terre. Collet lui reproche cependant de ne pas avoir suffisamment confronté ce Stylus regius aux coutumes et privilèges locaux :

    "Le President Granet a son merite particulier, nous lui sommes obligez du Recueil des Edits et des titres publics qu'il a fait imprimer, et de sa Latinité : s'il eût executé fidellement ce que promet le titre de son Livre et qu'il nous eût appris ce que le changement de domination aportoit dans la police particulière, je proposerois son Livre pour modelle de nôtre usage ; au lieu que je seray obligé de faire remarquer que c'est un Auteur interessé, et qui n'a pas seulement pris la peine d'entrer dans la connoissance de nôtre Statut et de nos Loix municipales, tant il étoit prevenu des grandeurs de ses charges, et de ses idées particulieres".

    Cette oeuvre importante n'eut donc pas toute la portée quelle méritait puisque l'échange des terres n'impliqua pas un simple transfert du droit de l'une à l'autre, mais elle contient de très précieux renseignements et de larges citations de documents perdus depuis.

    Etienne de Luan et Jean-Claude Charbonnier

    Après ces premiers juristes qui ont largement contribué à établir le droit bressan en le confrontant à ceux des provinces voisines, on doit citer les noms d'Etienne de Luan et de Jean-Claude Charbonnier, dont les oeuvres ont pour ainsi dire disparu ou du moins sont devenues introuvables, mais qui jouissaient en Bresse d'une très grande autorité.

    Le premier était lui aussi dauphinois, puisque natif de Crémieux. Il fut l'un des premiers conseillers au bailliage-présidial (1609-1627). On connaît de lui un ouvrage sur les IV livres des Institutes du droit civil. Il participa aussi au "Recueil des ordonnances royaux, disposé par forme de lieux communs, selon l'ordre alphabétique, par Guénois, reveu […] par Estienne Deluan, conseiller du Roy au Bailliage de Bresse. Mais on cite surtout son Selecta juris Stephani Deluani consilii regii in curià præsid. Burgi, 1626, in-12. Il est aussi l'auteur des vers liminaires du Stylus regius de Pierre de Granet. Il mourut à Bourg en 1631.

    Jean-Claude Charbonnier, naquit à Gravelles ; il était seigneur de Crangeat et fut reçu en 1629 lieutenant général civil du bailliage de Bourg ; il mourut le 9 mars 1651. Il était gendre du célèbre Antoine Favre. Son fils Jean-Claude exerça la même charge que lui. Il rédigea un ouvrage sur le style des ventes judicielles qui n'aurait pas imprimé et un traité de pratique (peut-être le même que le précédent) imprimé en 1710, longtemps après sa mort et devenu très rare, intitulé Traité des subhastations et discussions suivant le statut de Bresse. C'était "l'une des plus grandes figures du Présidial. Il fit preuve d'une attitude énergique vis-à-vis du seigneur de Montrevel, lors d'un sanglant conflit soulevé à propos de comédiens". Dans son Epître dédicatoire à Jean-Claude Charbonnier, Charles Revel écrivait, avec une certaine emphase :

    "Nos loix de Bresse et leur usage sont toutes vôtres et comme les adoptives de votre illustre maison, car feu Monsieur votre Père après les avoir élevées d'une main très sçavante, les a des premiers et peu après la réduction de la province, fait siéger sur les Lys pendant des longues années qu'il y a remply si dignement la charge que vous y soutenez à présent, avec les mesmes advantages qui le firent admirer aux plus célèbres de son temps "[…].

    Charles Revel

    Le premier grand juriste purement bressan serait né à Courmangoux. Il est connu surtout pour être l'auteur de L'usage des pays de Bresse, Bugey, Valromey et Gez, leurs statuts, stil et édits, dont la première édition parut à Mâcon, en 1665, et qu'il dédia à Jean-Claude Charbonnier, seigneur de Crangeac et de Longes, lieutenant général au Siège-Présidial de Bourg, fils de Jean Charbonnier, déjà cité. Plus que lui-même, c'est son neveu, Philibert Collet, qui s'est exprimé sur son intention :

    "Le dessein de ce Livre a été donné par feu Monsieur Revel mon Oncle maternel, qui a fait imprimer l'Usage de Bresse en 1660. il n'avoit en veuë que de former un stile des ventes judicielles, un peu plus étendu que celui de Monsieur Charbonnier, qui n'a pas été imprimé, et dont plusieurs personnes gardoient des copies pour apprendre le stile de nos subhastations. En travaillant sur cette matière il trouva sous sa main plusieurs sujets qui avoient été cause des executions et des subhastations, et qui étoient particuliers à nôtre Province. Cela obligea Monsieur Revel de parler des Etangs, de la Taillabilité, soit des Terres, soit des Personnes, et de quelques Contrats particuliers dont l'usage nous est nécessaire. Il fit une seconde partie à son Livre, tant pour traiter de ces matieres, que pour corriger quelques propositions qu'il avoit avancées dans la première, ou leur donner un jour plus soûtenable. Il connût après la publication de son Ouvrage qu'il étoit encor défectueux, il vouloit en changer l'ordre, et lui donner plus d'étenduë, il m'avoit parlé de cela, et il vouloit que j'eusse soin de le faire imprimer ; il mourut sans avoir eu la satisfaction de voir le seconde Edition de son Livre".

    Cette première édition de L'Usage de Bresse porte la date de 1665, mais l'extrait du privilège du Roy, indique que les lettres patentes sont datées du 3 juin 1663, et se termine par la mention : "Achevé d'imprimer pour la première fois le 15 juin 1663". D'ailleurs la seconde partie de l'ouvrage comporte une page de titre spéciale (bien que la pagination suive celle de la première partie) : Questions pratiques sur l'Usage des pays de Bresse et de Bugey, seconde partie, A Mascon, chez Simon Bonard, imprimeur de la ville et marchand libraire, 1664. Or il est peu probable que la seconde partie ait paru avant la première. 1665 serait la date de la réunion de ces deux oeuvres.

    Cet ouvrage fut réédité une première fois en 1729, puis une seconde fois, en 1775. Cette dernière édition, qui atteste bien la popularité de l'oeuvre dans les milieux juridiques bressans, parut en deux gros in-folio, dont le second contenait les deux premières parties de l'Histoire de Bresse de Guichenon, ainsi qu'une courte notice sur le Pays de Gex par Collet, et une petite collection d'édits et règlements royaux concernant la justice de Bresse.

    Philibert Collet

    Collet, neveu de Charles Revel par sa mère, et parent de Samuel Guichenon par sa femme, apparaît comme l'une des plus fortes personnalités de la Bresse au XVIIe siècle. De caractère irascible, il maniait une plume acerbe sous laquelle peu de ses contemporains trouvèrent grâce. Poète, juriste, historien, homme de science, il écrivit sur divers sujets, mais c'est surtout le juriste qui retiendra ici notre attention.

    Fils de Pierre Collet, notaire et commissaire des tailles, il naquit le 23 février 1643 à Châtillon-lès-Dombes. "A l'âge de 16 ans, il avait achevé ses études classiques au collège de Jésuites de Lyon, sous les professeurs Menestrier et La Chaise qui le firent recevoir dans le noviciat de leur ordre à Avignon. Le jeune Collet enseigna les basses classes à Dôle et à Roanne, jusqu'à l'âge de 22 ans. En l'année 1665, il visita Paris et Londres, revint dans sa patrie trois ans après et épousa, le 17 février 1669, Mlle Jeanne Guichenon, fille du médecin Jean Guichenon et de Jeanne Brulet qui ne figure dans aucun acte de la famille de l'historien Samuel Guichenon. Elle mourut le 23 juin 1692. Collet embrassa la carrière de la magistrature à laquelle son père, notaire royal et commissaire des tailles, l'avait destiné. Reçu docteur à l'université de Valence, puis avocat au Parlement de Dijon, le 12 août 1669, il acheta, en 1673, un office de substitut du procureur général au Parlement de Dombes, qu'il exerça avec honneur, pendant 20 ans, et fut admis, ensuite, au Présidial de Bresse, le 22 décembre 1693.

    "[…] Le 20 mars 1699, il se démit de son office de maire, en faveur de Jean Monnier, médecin de Pont-de-Veyle, son neveu. Laborieux, ami de la retraite, Collet habitait dans la belle saison, sa maison de campagne de Ville-Solier, près de Saint-Etienne-sur-Chalaronne, où il a écrit tous ses ouvrages, de 1683 à 1702. Il a été inhumé dans la chapelle de la Trinité, église de Châtillon, où se trouvait le tombeau de ses ancêtres.

    "Collet était de très petite taille ; il avait les yeux vifs et pleins de feu ; la tête grosse, le front élevé, le nez gros et long ; les lèvres épaisses, les sourcils épais et hérissés, la voix forte, le dos voûté. Il aimait à se singulariser en toute chose, il s'habillait comme les anciens. Spirituel et savant, sincère et obligeant, il fut dévoué et humain. Il parlait peu de religion et affectait d'être un esprit fort bien que sa conduite fut très édifiante à l'heure de sa mort survenue à 75 ans".

    Son caractère emporté le poussa à une véritable rixe, à l'occasion d'une inhumation dans l'église de Châtillon, avec le doyen du chapitre, ce qui lui valut d'être excommunié de 1681 à 1683, mais aussi de composer un ouvrage sur l'excommunication, en connaissance de cause.

    Parmi les nombreux écrits de cet auteur nous retiendrons essentiellement son Explication des statuts, coutumes et usages observés dans la province de Bresse, Bugey, Valromey et Gex […]. Il le présente lui-même comme la continuation de l'oeuvre de son oncle Revel : "Après la mort de Monsieur Revel je sollicitay ses deux Gendres de suivre le projet de leur Beaupere, y étans plus obligés que moy, ou de me donner ses mémoires. Ils sont morts aussi sans vouloir prendre le tems de faire ce travail, et sans me fournir aucunes lumières. J'ay été obligé de les chercher dans mes lectures particulières, comme les lecteurs le connoîtront facilement". Cet ouvrage est bien documenté et nous avons souligné -comme il le fait d'ailleurs lui-même- qu'il puisa abondamment dans les registres du parlement pour en extraire la jurisprudence. Cependant, contrairement à l'oeuvre de son oncle, son ouvrage n'eut pas de réédition, ce qui pourrait montrer qu'il fut moins utilisé. Cette impression est d'ailleurs confirmée par l'avis de Perret qui écrit :

    "Collet est celui de tous qui s'est le plus étendu sur ces Usages ; mais quoiqu'il eut annoncé ses recherches avec beaucoup d'ostentation, quoiqu'il ait hazardé la critique la plus vive contre M. Granet, M. Doncieu, Colombet, Guichenon et Revel, l'explication des Statuts qu'il a donnée, est moins utile que les productions qu'il s'efforce de déprimer ; aussi Bretonnier dit-il que le livre de Collet est plus gros que celui de Revel, mais que les connoisseurs ne l'estiment pas tant.

    "C'est sur ce fondement et par les mêmes raisons que M. Bouhier, en parlant des droits établis dans les Provinces détachées du Duché de Savoie, observe que le témoignage de Collet est peu sûr dans ces sortes de matières ; qu'il affecte de n'être point favorable aux Seigneurs ; qu'il cite beaucoup d'Arrêts, mais peu exactement ; que tel est son défaut ordinaire, il est en effet trèsrare, lorsqu'on prend soin de vérifier ses citations à cet égard, que l'on ose insister sur les raisonnemens qu'il en déduit, et sur l'application qu'il en fait".

    Claude Perret

    Le dernier grand juriste bressan, que l'on a plusieurs fois cité dans les lignes qui précèdent, fut Claude Perret. Il naquit à Montrevel vers 1745 et mourut à Lyon en 1799. Il s'intitule lui-même, en 1771, en tête de son ouvrage "Avocat en Parlement, Conseiller du Roi, premier juge-garde de la Monnoie de Dijon, de l'Académie des Sciences, arts et Belles-Lettres de la même ville".

    Son oeuvre principale, Observations sur les usages des provinces de Bresse, Bugey, Valromey et Gex, et sur plusieurs matières féodales et autres, tant pour les pays du droit écrit, que pour les pays coutumiers, est malheureusement restée inachevée, mais, grâce à ses propres déclarations, on connaît le but qu'il souhaitait atteindre, ses méthodes de travail, l'aide qui lui a été apportée par la province, et le plan général qu'il se proposait de suivre :

    "L'objet que je me propose, dans les Observations que j'ai dessein de publier, est moins de faire mieux que les Ecrivains qui m'ont précédé dans la même carriere, que d'expliquer ce qu'ils n'ont pas dit ; que de détailler ce que je crois qu'ils n'ont pas suffisamment développé ; que d'indiquer les preuves qu'ils ont négligé de présenter ; que de chercher à prévenir les méprises dans lesquelles peuvent entraîner des propositions, qui, si je ne m'abuse, ont été trop généralisées ; me sera-t-il permis de dire que mon projet est encore de rectifier quelques erreurs dans lesquelles il me semble qu'ils sont tombés ?".

    Il ajoute aussi :

    "Différentes considérations m'ont enhardi à tenter ce qu'ils n'ont pas voulu exécuter ; j'exerce depuis plus de vingt-quatre ans la Profession d'Avocat au Parlement de Dijon ; le plus grand nombre des procès dans lesquels j'ai été chargé de consulter, de plaider, ou d'écrire, intéressoient des Particuliers de ces Provinces ; j'ai eu par cette voie la communication d'un grand nombre de Terriers des Seigneurs de Bresse et du Bugey ; j'en ai tiré des notes ou des copies sur lesquelles j'ai rédigé des remarques pour ma propre instruction ; ainsi j'ai été forcé, par l'objet principal de mon travail, de me livrer à une étude presque continuelle des Auteurs dont j'ai parlé, de méditer leurs ouvrages, de les comparer, et souvent d'en faire des extraits raisonnés. Cependant toutes ces considérations n'eussent point été capables de me décider à rendre publiques mes observations, si Messieurs les Syndics des trois ordres de la Province de Bresse ne m'avoient point engagé à les faire imprimer ; ils ont pensé qu'elles seroient utiles à leurs Concitoyens ; informés, depuis plusieurs années, de mes recherches, ils m'ont invité à les continuer et à les perfectionner ; ils ont eu la complaisance de me promettre et de me procurer les instructions, les éclaircissemens et les secours qui peuvent dépendre d'eux. Mais rien n'a plus contribué à fixer mes incertitudes que M. Amelot de Chaillou, Intendant de Bourgogne. Ce Magistrat, attentif à tout ce qui peut devenir avantageux aux Habitans des Provinces dont Sa Majesté lui a confié l'administration, a considéré mon ouvrage dans ce point de vue. Il a bien voulu honorer mon travail de son approbation."

    A l'origine, l'ouvrage de Perret devait comporter quatre volumes :

    "Le premier traite des main-mortes, des conditions taillables en général, de celles établies en Bresse et en Bugey en particulier, et du droit de soufferte. Le second contient différentes dissertations sur les cens, les servis, les lods, les corvées, et sur plusieurs autres droits seigneuriaux, généraux et particuliers. Le troisième est relatif aux subhastations, aux discussions, au bénéfice d'inventaire, aux contrats de mariage, aux dots, aux donations de survie, aux bagues et joyaux, à l'augment de dot, et au droit de rétention. Le quatrième traitera de l'intérêt du prêt simple, de l'action hypothéquaire, du droit d'offrir, des chetels, des baux à grangeage et des tailles.

    Mais la tâche se montra plus ardue qu'il ne l'avait prévu, et les nombreux documents qui lui furent apportés alourdirent sa documentation et retardèrent sa rédaction. Il s'en explique d'ailleurs lui-même en disant que ces apports extérieurs doublèrent le volume de son manuscrit et l'obligèrent à scinder son premier tome en deux volumes de plus de 600 pages chacun. Cette partie seule a été publiée en 1771. Son succès lui valut une réédition en 1783.

    Bien qu'incomplète, cette oeuvre est précieuse et bien documentée, écrite dans un style agréable et un langage clair. Les références sont notées avec précision et les citations de procès, nombreuses, en font un livre utile pour l'histoire locale.

    La philosophie et l'éloquence judiciaires

    La critique de la justice de l'Ancien Régime est un lieu commun régulièrement entretenu par ceux qui n'ont sans doute jamais pris la peine d'étudier de près les archives qu'elle a produites et les hommes qui l'ont administrée. Certes, elle a connu des abus (quand cesseront-ils ?), mais il serait peu honnête de dire que les hommes de loi du XVIIIe siècle n'avaient pas conscience de leurs responsabilités et qu'ils se souciaient peu du bien public.

    Avant d'en terminer avec cette rapide présentation du bailliage-présidial de Bresse, il n'est donc pas déplacé d'ajouter quelques mots sur les conceptions de la justice que pouvaient avoir les acteurs eux-mêmes, surtout à travers leurs discours.

    L'orateur le plus connu, sans doute en raison de son talent, mais aussi du fait que certains de ses discours ont été imprimés, reste le célèbre Thomas Riboud, procureur du roi au bailliage-présidial, à qui l'on doit le Discours sur la sensibilité dans le magistrat, prononcé à la rentrée Présidial de Bourg le 14 novembre 1779, et les Reflexions sur le patriotisme dans le magistrat, lues à la rentrée du Présidial le 13 novembre 1781. Grâce à ces deux discours, nous pouvons esquisser l'idéal du bon magistrat à la fin du XVIIIIe siècle : "Avec le lyrisme qui lui est propre, Thomas Riboud brosse le portrait du magistrat parfait : c'est un homme vertueux, sensible, totalement désintéressé, dont le seul but est le bonheur de ses semblables, l'harmonie de la Société. Il lui reconnaît de très graves responsabilités : de lui dépendent la paix et l'harmonie de tout une Nation".

    Voici quelques citations de ces textes :

    "Celle-ci [la société] l'a chargé du soin important de maintenir ou de rétablir l'harmonie qui la constitue ; ses fonctions le rendant utile à tous les hommes. Que ne lui devront-ils pas, s'ils admirent chez lui une âme sensible ? Est-il un état où ce don de la nature soit plus nécessaire et plus avantageux à la société ? Le magistrat qui en seroit privé ne mériteroit pas le titre respectable d'arbitre de ses concitoyens, il ne pourroit point soulager des maux dont son coeur ne mesureroit point l'étendue, il ne pourroit opérer un bien que son coeur ne sentiroit pas.

    Un spectacle bien fait pour l'émouvoir, frappe continuellement ses regards ; il a toujours sous les yeux l'humanité souffrante ; les hommes se présentent à lui ou persécuteurs ou persécutés ; il les voit sans cesse occupés à attaquer ou à se défendre, à tendre des pièges ou à les éviter ; il apperçoit de son tribunal, l'envie, l'amour-propre et la jalousie déchirant leurs victimes ; l'intérêt et la discorde traînant à leur suite l'infortune. Tous les êtres humains qui luttent à ses pieds marchent à la douleur … Si son âme considère froidement d'aussi tristes objets, s'ils ne font pas sur elle des impressions profondes, s'il ne regarde cette agitation convulsive que comme un jeu monotone qu'il est forcé de terminer par état, plaignons-en les malheureux acteurs, plaignonsle lui-même, il n'aura jamais de vrais plaisirs ; sa profession et son coeur ne lui offriront jamais de jouissances pures.

    C'est de la sensibilité qu'il doit les attendre, c'est elle qui lui donnera des droits certains à l'estime publique, il recevra d'elle les vertus qui l'en rendront digne […]. Cet art délicat, l'art de savoir faire chérir la main qui nous frappe, d'adoucir le sort de celui qui succombe, ne peut appartenir qu'au magistrat sensible. C'est à lui seul qu'il est donné de savoir dépouiller la punition d'une partie de son amertume" […].

    Le patriotisme est le meilleur allié de ceux qui gouvernent les Etats : "Faites leur chérir leur patrie ; qu'ils y retrouvent Rome et vous aurez des Romains … Plus le patriotisme sera propagé, plus votre puissance sera grande". Or, parmi tous les citoyens, plus que le guerrier que la patrie "perd au moment où il la sert le mieux", plus que le navigateur dont les découvertes sont souvent "un présent funeste", plus que l'artiste qui risque de "propager le luxe", le magistrat apparaît comme le meilleur serviteur de la patrie :

    "Le magistrat au contraire la sert sans l'affoiblir ; dépositaire de ses loix, il l'est aussi de son repos ; il la soutient et l'éclaire, il est son vrai défenseur. Pourroit-elle être redoutable au dehors, résister à ses ennemis, faire usage des secours que lui donnent les autres citoyens, sans cette harmonie intérieure que le Magistrat conserve. C'est lui qui veille à ce qu'aucune des parties du tout qui la compose perde sa place, et l'occupe sans déranger celles qui l'environnent ; en la vengeant des membres qui la déshonnorent par leurs vices, ou la troublent par leurs crimes ; il lui procure la paix et la sureté, et c'est avec raison qu'on a dit souvent qu'il étoit l'appui du trône et le garant du bonheur public".

    Ces nobles propos de Riboud, qui justifient d'ailleurs indirectement l'accession à la noblesse de nombre de familles de robe, ne sont pas isolés dans le monde judiciaire de l'époque. Déjà dans les Statuts de Savoie, le duc Amédée VIII demandait que les juges soient "des hommes remarquables, experts en droit, de moeurs irréprochables, prudents et probes".

    Plus proches de Riboud, d'autres magistrats tenaient des discours tout aussi empreints de noblesse d'intentions, quoique moins originaux dans leur formulation. On cite le Discours prononcé à l'ouverture de la Saint-Martin du Siège présidial de Bresse, en l'année 1664, prononcé par Charles-Emmanuel Porcet, conseiller et procureur du roi, mais n'avons pu en consulter un exemplaire. Voici en revanche un discours inédit de Jean-Philibert-Antoine Tardy de La Carrière, juge de Pont de Veyle, prononcé à l'audience du 16 mai 1774.

    "Messieurs

    "Pour raprocher les objets de la vue faible des hommes, les anciens ont personifié les vertus ; une partie de leurs fictions s'est conservée parmy nous et c'est ainsy que Thémis, la balance à la main, est encore à nos yeux le simbole de la justice. Le spectacle qu'elle nous offre est beau sans doutte ; il est noble dans sa simplicité. il semble que nous voyons un dieu tutélaire attentif à conserver sur les intérêts des humains l'équilibre, première source de l'ordre général. Venés ! dit-il à l'homme honnête et content de son état, Venés conserver dans mon temple votre sérénité ! Les entreprises de cet ambitieux fertile et hardy dans ses projets vont être pesées, par une main sure, avec ses droits. Venés ! dit-il au pauvre timide, que votre marche se rassure à mon aspect, je méconnois les avantages que votre concurrent se promet de son opulence. Ici l'égalité se rétablit entre vous, et vous qui parroissés en quelque sorte en bute à la déprédation, vous veuve et orphelin, mes bras vous sont ouverts, mon ombre s'étendra sur vous et vous préservera des dangers de votre scituation.

    "Que ces fonctions sont augustes, Qu'elles ont de dignité ! Remises aujourd'hui dans mes mains, je sais MM combien je suis éloigné du point de lumière et de perfection qu'elles exigent pour les remplir dignement il faudroit que le Seigneur qui m'en a honoré m'eut transmit en même tems la sagacité de son esprit toujours sure dans son action, que le tribunal qui a approuvé son choix m'eut communiqué une étincelle de son génie, et que je fusse doué de la sagesse inaltérable de l'un et de l'autre au déffaut de ce concours heureux de qualités éminentes, il est un supplément auquel j'ose aspirer : ce sera la concorde parmy les citoyens, la présence et l'observation de ce principe fondamental de la Société : Ne faites à autrui que ce que vous voudriés qui vous fût fait.

    "L'amour du bien dans les membres de ce siège et de ma part une droiture et une pureté d'intention constante à jamais. De cette sorte MM les racines des procès s'affoibliront s'il en nait encore dans la nouveauté des positions et du peu de connoissance des loix arbitraires ils seront décidés par les vues de la justice. Puissent mes forces atteindre au but que je me propose et s'il m'est permis de faire de nouveaux voeux, puissai-je, dans les différents qui s'élèveront être moins juge que conciliateur".

    Au-delà des poncifs et des lieux communs, on aura apprécié les bonnes intentions de ce juge qui nous montre que, dès le XVIIIe siècle, le sens des responsabilités et de la véritable justice avait pénétré profondément au coeur de la Bresse, jusque dans les tribunaux des justices seigneuriales.

  • Mode de classement

    L'état d'abandon dans lequel est resté l'ensemble des fonds judiciaires de l'Ancien Régime, explique la pauvreté extrême des instruments de recherche. Seule une partie des registres du bailliage-présidial avait été classée et inventoriée par Brossard : BROSSARD (Joseph) et MOREL (Octave),  ...  

  • Sources complémentaires internes

    Archives judiciaires de la Bresse avant le rattachement à la France (1601)

    On pourra trouver quelques pièces de procédures dans les archives familiales (série E) et dans quelques fonds religieux (clergé régulier, série H).

    Archives judiciaires après le rattachement à la France (1601-1790)

    Série C : dossiers sur les usages de Bresse (C 946 et 948) ; procédures entre la province et des particuliers (C 969 à C 987).

    Série E : On pourra trouver de nombreuses pièces de procédures dans les archives familiales. De même dans les fonds religieux (séries G et H).

  • Sources complémentaires externes

    Archives judiciaires de la Bresse avant le rattachement à la France (1601)

    Archives départementales de la Côte-d'Or

    Série B : 1. Chambre des Comptes de Bourgogne Les archives de la chambre des comptes de Dijon, qui a hérité d'une grande partie

    des archives de la chambre des comptes de Savoie, en ce qui concerne les provinces de Bresse, de Bugey et de Gex, conservent de nombreux comptes de judicatures, sans oublier les recettes des banna concordata (amendes de composition) et des banna condemnata (amendes de condamnation) qui figurent dans les comptes des châtelains.

    Pour connaître la liste des différents comptes des revenus de justice avant 1500, on pourra se reporter à l'ouvrage suivant : BAUTIER (Robert-Henri) et SORNAY (Janine), Les sources de l'Histoire économique et sociale du Moyen Age, Provence - Comtat Venaissin, Dauphiné, Etats de la Maison de Savoie, vol. I, Archives des principautés territoriales et archives seigneuriales, Paris, 1968, p. 474, 480 et 486.

    Série B : 2. Parlement de Dijon

    Les appels de Bresse au conseil ducal de Chambéry sont conservés sous les cotes B 11418 à 11424 pour les affaires civiles (1323-1602) et B 11425 à 11440 pour les affaires criminelles (1352-1599). Un microfilm est conservé aux Archives de l'Ain.

    Archives départementales de la Savoie

    Série B : parlement de Chambéry et "Souverain Sénat" de Savoie

    "Le Parlement de Chambéry n'a conservé ses archives qu'à partir de 1540. Il ne subsiste aucun fonds de documents provenant du "Conseil résident" à Chambéry, juridiction qui a précédé le parlement comme cour judiciaire du duché. Le règlement de 1329 du "Conseil résident" subsiste cependant aux Archives d'Etat de Turin et sous forme de microfilm aux Archives de la Savoie (1Mi 19) et des procédures ou décisions de ce Conseil se trouvent dispersées dans différentes séries d'archives.

    "Les archives du Parlement de Chambéry se répartissent en édits, règlements et entrées (1540 à 1559), en registres dits des Edits Bulles (1540-1559), en registres des arrêts civils rendus sur pièces vues (1540 à 1553) et rendus en audience (1554 à 1558) ; en arrêts au criminel, rendus sur pièces vues (1540 à 1559) et rendus en audience (1542 à 1559) et en registres du greffe civil et du greffe criminel (1542 à 1558)".

    Les archives propres du Sénat de Chambéry après 1559 se composent des catégories de documents suivantes (pour l'époque concernée (1559-1601) : Secrétariat du Sénat, entérinement des décisions souveraines, arrêts civils, arrêts criminels, arrêts sur requêtes et remontrances, motifs d'arrêts, greffes, matière criminelles, comptabilité.

    On pourra consulter aussi les archives saisies ou recueillies par le Sénat de Savoie et surtout les procédures du sénat.

    Pour tout ce qui concerne la Savoie, se reporter, d'une manière générale, à :

    PERRET (André). Guide des Archives de la Savoie. Chambéry, 1979, 670 p.

    Archives judiciaires après le rattachement à la France (1601-1790)

    Archives départementales de la Côte-d'Or

    Série B (essentiellement B 12068 à 12229 et B II) : parlement de Dijon. En raison de la procédure d'appel, l'ensemble des archives du parlement de Bourgogne peut concerner la justice de Bresse. On se référera, pour une première approche (le fonds n'étant pas encore définitivement classé et répertorié) et d'une manière générale, à RIGAULT (Jean), Guide des Archives de la Côte- d'Or, Dijon, 1984, 416 p. Une partie des fonds a fait l'objet d'un inventaire sommaire : GARNIER (Joseph), Inventaire sommaire des Archives départementales antérieures à 1790, Côte-d'Or, Archives civiles, série B (tome 6e) : Parlement de Bourgogne, N° 12068 - 12269. Dijon, 1894, 379 p. in 4°. On relèvera surtout, dans cet inventaire, l'enregistrement des édits et lettres patentes, dont beaucoup concernent la Bresse, à partir de 1601. Les registres d'arrêts de la Grande Chambre, commencent en 1625 (B 12230 et suivants).

    De nombreux procès au parlement ont aussi donné lieu à des factums imprimés d'utilisation commode, dont un certain nombre sont conservés aux Archives de l'Ain ou à la Bibliothèque municipale de Bourg (voir ci-dessous, dans la Bibliographie). Ne pas oublier aussi de consulter les recueils imprimés des arrêts du parlement, qui citent de nombreux procès bressans (idem).

  • Bibliographie

    Edits et arrêts et ouvrages juridiques anciens époque savoyarde (antérieure à 1601) [Statuta Sabaudiæ]. Turin, Franciscus de Silva, 1505, 100 fol. (Bibl. des Arch. de l'Ain, C 89). Cet exemplaire appartenait à un  ...  

  • Mots matières

    justice

  • Organisme

    France. Bailliage (Bourg-en-Bresse)

  • Contexte historique

    Époque moderne