Survol historique
Les archives judiciaires du Bugey que nous avons conservées et qui se trouvent classées dans la série B des Archives de l'Ain, n'étant pas, sauf exceptions, antérieures au XVIIe siècle, c'est à dire au rattachement du Bugey à la France, nous nous contenterons de survoler l'histoire de cette province au Moyen Age.
Le haut Moyen Age
Après une forte romanisation, particulièrement marquée dans le Bugey méridional et dans la région d'Izernore, la période féodale vit la constitution de grands fiefs où les abbayes bénédictines jouèrent un rôle de premier plan.
Au nord-ouest, les sires de Thoire étaient de véritables roitelets, sous la lointaine suzeraineté des empereurs. Leur influence s'étendait largement sur la rive droite de l'Ain, mais elle se heurtait à l'est à la puissante abbaye de Nantua qui resta pendant tout le Moyen Age indépendante grâce à la protection de Cluny dont elle était devenu un prieuré vers 1100.
Plus au sud, le long de la rive gauche de l'Ain, s'étendait la partie méridionale de la "manche" de Coligny qui s'émietta petit à petit au hasard des successions et des concessions de fiefs, mais dont une partie importante passa aux dauphins de Viennois qui s'établirent ainsi solidement sur la rive droite du Rhône.
A l'est, les comtes de Belley et les évêques qui semblent avoir souvent appartenu à la même famille et à celle des premiers comtes de Savoie occupaient une grande partie du Bugey méridional, jusqu'à Rossillon, tandis que le Valromey appartenait aux comtes de Genève.
Vers l'hégémonie savoyarde
Pour suivre l'histoire du Bugey au Moyen Age, il est commode de prendre pour fil conducteur la longue progression de la maison dans cette région, progression qui l'amena progressivement à une hégémonie presque totale au début du XVe siècle. Voici quelques dates qui pourront servir de points de repère.
1046 : le comté de Belley est recueilli par Humbert, comte de Maurienne, à la mort d'Amédée son parent. Ce comté s'étendait au moins jusqu'à Rossillon. C'est la première implantation de la maison de Savoie dans l'Ain (1).
V. 1080 : Jeanne de Genève apporte le Valromey en dot à Amédée II, comte de Maurienne et de Belley (2).
1196 : le comte Thomas prend possession du château de Saint-Rambert (Cornillon) que lui remet l'abbé Régnier qui place l'abbaye et ses terres sous sa protection.
1272 : le mariage d'Amédée (futur Amédée V) avec Sybille de Bâgé, permet à la maison de Savoie d'acquérir la riche Bresse qui s'étendait de l'Ain à la Saône.
1282 : le comte de Savoie prend l'abbaye d'Ambronay sous sa protection. Cette opération permet au comte d'établir la jonction entre ses terres du Bugey et la Bresse.
1289 : le comte de Savoie échange le Revermont contre les seigneuries de Savigny et de Sagy. Il renforce ainsi sa liaison entre la Bresse et le Bugey.
1300 : le sire de La Palud rend hommage au comte de Savoie. L'implantation dans la moyenne vallée de l'Ain était donc de plus en plus solide, mais elle menaçait du même coup les possessions des dauphins sur la rive droite du Rhône et interdisait aux sires de Thoire-Villars de réunir leurs terres du Bugey et de la Dombes. Une guerre interminable oppose les deux camps. Les comtes de Savoie l'emportent peu à peu, notamment avec la prise du château d'Ambérieu (1321) et malgré la défaite de Varey (1325).
1355 : le traité de Paris met fin à la guerre entre la Savoie et le Dauphiné sur tous les fronts. Toutes les possessions dauphinoises sur la rive droite du Rhône passent à la Savoie. Les comtes reçoivent à la même occasion la seigneurie de Gex.
1402 : le dernier sire de Thoire-Villars vend ses terres de la Montagne au comte Amédée VIII. Désormais la maison de Savoie étend son hégémonie sur tout le Bugey, hormis la terre de Nantua.
Cette hégémonie durera, sauf la période d'occupation française de 1535 à 1578, jusqu'en 1601.
Le traité de Lyon de 1601
Le traité de Lyon qui échangeait la Bresse, le Bugey et le Valromey contre le marquisat de Saluces, rattachait le Bugey tout entier, sans faire mention de la terre de Nantua qui de ce fait était réunie au bailliage de Belley. En revanche le Bugey comportait des enclaves de part et d'autre du Rhône. Ces réserves importantes faisaient d'ailleurs l'objet de l'article premier du traité (3) :
"On a traité, conclu et arresté les articles qui s'ensuivent :
"Premièrement que le sieur Duc cède, transporte, et délaisse au dit sieur Roy et à ses successeurs Roys de France, tous les païs et seigneurie de Bresse, Bugey et Verromey, et généralement tout ce qui luy peut appartenir jusques à la rivière du Rosne, icelle comprise, de sorte que toute la rivière du Rosne, dès sa sortie de Genève, sera du royaume de France et appartiendra au dit sieur Roy et à ses successeurs.
"Et sont les dits païs, cédés ainsi que dessus, avec toutes les appartenances et dépendances, tant en souveraineté, justice, seigneuries, vassaux subjects et tous droits, noms, raisons et actions quelconques qui pourroient appartenir au dit sieur Duc esdits païs ou à cause d'iceux, sans y rien réserver. Sinon que pour la commodité du passage demeurera au dit sieur Duc, le Pont de Grésin, sur la dite rivière du Rosne, entre l'Escluse et le Pont d'Arle, qui, par le présent traité, appartiendront au dit sieur Roy. Et par deçà le Rosne demeureront encor audit sieur Duc les paroisses de Léaz, Lancran et Chézery, avec tous les hameaux et territoires qui en dépendent, entre la rivière de Vacerones [La Valserine] et le long de la montagne appellée Le Grand Crédo, jusques au lieu appellé La Rivière. Et passée la dite rivière de Vacerones, demeure encores au dit sieur Duc, le lieu de Maingre et Combes, jusques à l'entrée plus proche pour aller et passer au comté de Bourgogne. A condition toutesfois que le dit sieur Duc ne pourra mettre ny lever aucunes impositions sur les denrées et marchandises ny aucun péage sur la rivière pour le passage du pont de Grésin et autres lieux cy-dessus désignez. Et en tout ce qui est réservé pour le dit passage et tout le long de la rivière du Rosne, le dit sieur Duc ne pourra tenir ou bastir aucun fort. Et demeurera le passage libre par le dit pont de Grésin et en tout ce qui est réservé tant pour les subjects du dit sieur Roy que pour tous autres qui voudront aller et venir en France, sans qu'il leur soit donné destourbier, moleste ny empeschement. Passants néantmoins gens de guerre pour le service du dit sieur Duc ou autres princes, ne pourront entrer ès dits pays et terres du dit Sieur Roy sans sa permission ou de ses gouverneurs et lieutenants généraux et ne donneront aucune incommodité aux subjects de Sa Majesté".
Après cet important article qui créait ce que l'on appela "le Chemin des Espagnols" qui permettait ainsi de passer librement de Savoie en Franche-Comté entre le Bugey et le Pays de Gex, et après un article 2 consacré à la remise de la citadelle de Bourg, l'article 3 du traité créait des enclaves bugistes, donc françaises sur la rive gauche du Rhône :
"Et en outre a esté accordé que le dit sieur Duc cède aussi, transporte et délaisse au dit sieur Roy, delà la rivière du Rosne, les lieux, terres et villages d'Ayre, Chaussy, Pont-d'Arle, Seyssel, Chana et Pierre-Chastel, avec la souveraineté, justice, seigneurie et tous droits qu'il peut avoir esdits lieux cedez et sur les habitants d'iceux, sans y comprendre le surplus des mandements des dits lieux et de leur territoire".
Du traité de Turin (1760) à la Révolution
Cette situation peu logique, créée par le traité de Lyon de 1601, resta sans changements, malgré les nombreux problèmes qu'elle pouvait poser, surtout en matière de contrebande, jusqu'au traité franco-sarde de Turin de 1760.
"L'arrestation de Mandrin par les Français en territoire savoyard (mai 1755) et son exécution rapide suscitent une petite crise diplomatique. Le 24 mars 1760, un traité conclu à Turin règle à l'amiable les différends territoriaux, "le Rhône formant désormais, par le milieu de son plus grand cours, une limite naturelle et sans enclave". En échange du val de Chézery, le roi de Sardaigne récupère la partie orientale de Seyssel (aujourd'hui Seyssel Haute-Savoie), Aire-La-Ville, Chanaz, La Balme de Pierre-Châtel et Les Certoux (ou Essertoux), et la frontière méridionale est modifiée à son avantage" (4).
Il faut dire que depuis le traité de Nimègue de 1678, et le rattachement de la Franche-Comté à la France, le "Chemin des Espagnols" dans la vallée de la Valserine, avait perdu toute raison d'être. De 1760 à la Révolution, le Bugey ne connut plus de modifications territoriales.
La justice du Bugey sous les ducs de Savoie
Au XVe siècle, la situation judiciaire est donnée par les statuts de Savoie, dont l'article 55 précise la résidence des différents juges (5) :
De residentia et proprio tribunali cujuslibet judicum ordianriorum Residentiam principalem ac judicialis sedis et tribunalis cujuslibet judicum nostrorum ordinariorum observantiam esse et tenere statuimus et volumus in loco magis mediocri et insigni judicaturae sibi commissae : videlicet judicis orddianrii majoris Sabaudiæ in villa nostra Chamberiaci, judicis Breissiæ, Dombarum et Vallisbonæ et des Villariis, in villa nostra Burgi in Breissia ; judicis Maurianæ et Terantaxiæ in villa nostra Salini prope Mulierum (sic) in Tarentasia Faucigniaci judicis in villa nostra Bonæ Villæ Chablasi in villa nostra Sancti Maurici Agauen. judicis Beugesii Novalesiæ Veromesi et Terræ Montanæ in villa nostra de Rossilliono judicis comitatus nostri gebenensis in villa nostra Annexiati Burgi
Résidence et tribunal des juges ordinaires
Nous statuons et voulons que la résidence principale et l'observance du siège de justice et du tribunal de chacun de nos juges ordinaires soit et qu'ils la tienne dans le lieu le plus central et le plus insigne de la judicature qui leur est commise. A savoir celle du juge-mge ordinaire de Savoie dans notre ville de Chambéry, celle du juge de Bresse, de Dombes et de Valbonne et de Villars, dans notre ville de Bourg-en-Bresse, celle du juge de Maurienne et de Tarentaise dans notre ville de Salins près de Moutiers-en-Tarentaise, celle du juge du Faucigny dans notre ville de Bonneville, celle du Chablais, dans notre ville de Saint-Maurice d'Agaune, celle du juge du Bugey, de Novalaise, du Valromey et de la Terre de la Montagne, dans notre ville de Rossillon, celle du juge de notre comté de Genève, dans notre ville d'Annecy.
On notera que le terme latin mediocri peut prêter à confusion, et de fait Collet a fait remarquer qu'on pouvait l'entendre au sens de "médiocre", c'est à dire de "peu important" :
"Pourroit-on concilier cela en disant que le prince vouloit l'exercice de la justice plus libre et que pour cela il établit le séjour ordinaire des juges dans les lieux où il ne demeuroit aucune autre personne dont le pouvoir ecclipsât ou diminuât celui des juges. Que c'est pour cela qu'au lieu de mettre un juge à Genève, il le mit à Annecy pour les Genevois, et au lieu de mettre celui du Bugey à Belay, il le mit à Rossillon et au lieu de Moustier, il choisit Salin et de même au lieu de mettre ceux de Savoye en quelques unes des places où le Duc faisoit sa résidence il le mit à Chambéry, et celui de Bresse à Bourg et non pas à Baugé qui en étoit la capitale"(6).
En réalité le mot mediocri au sens de central convient parfaitement à Rossillon, qui, après l'acquisition par le comte de Savoie de la Terre de la Montagne, du dernier sire de Thoire-Villars, en 1402, apparaissait beaucoup plus central que Belley.
Dès avant la fin de l'époque savoyarde le siège de la justice du Bugey revint cependant à Belley : "Autrefois Rossillon estoit la capitale du Bugey, où se tenoit le siège ordinaire de la justice, mais ce lieu ayant esté ruiné et dépeuplé par divers incendies, on le transfera à Belley d'où il étoit premièrement sorty" (7). Dallemagne conclut de cette phrase que ce transfert eut lieu en raison des guerres de la conquête française de François Ier (8). Or quand François Ier prit possession du Bugey, les justices étaient déjà à Belley : "Roussillon qui estoit le siège où anciennement l'on souloit tenir le dit siège de Bugey, mais pour ce qu'il fut détruit a esté translaté au dit Belley" (9).
Le bailliage de Belley
La création du bailliage
Dès le rattachement du Bugey à la France, Henri IV avait créé, comme nous l'avons vu dans la première partie, un bailliage-présidial à Bourg. Cet édit de création, daté de juillet 1601, portait en même temps la création d'un bailliage pour le Bugey :
"Au quel siège [le présidial], voullons que ressortissent nuement et immédiatement toutes les appellations des justices subalternes, sièges et juridictions tant du dit païs de Bresse que de ceulx du Bugey, Veromey, Geys et aultres lieux à nous remis par le dit eschange […]". "En oultre, avons institué, créé et érigé par ces mesmes présentes, créons et instituons et érigeons deux offices de lieutenans civil et criminel, l'un pour le païs de Beugey, Veromey et des terres y juinctes, et l'aultre pour le païs de Geys, selon qu'il nous a esté cédé et remis avec un procureur pour nous et un greffier, ensemble quatre sergens pour chacun des dicts sièges particuliers" (10).
Ce nouveau bailliage de Belley ne reprenait en fait que la succession de l'ancien juge-mage savoyard, et faisait office de justice de première instance pour certaines affaires et de juridiction d'appel pour les justices subalternes. Ceci est largement expliqué dans les différents textes de confirmation donnés par Henri IV en 1601, et en particulier dans les Patentes pour le général de la Noblesse de Beugey et Verromey :
"Nous avons ordonné et ordonnons que les ecclésiastiques, nobles et autres subjects tant de Bresse que de Beugey et Verromey, ne soient tirez hors de leurs balliages et jurisdictions ordinaires et accoustumées en première instance et outre ce, que les juges, tant de première instance que d'appel des dits marquis et comtes, ensemble les vicomtes, barons et bannerets, si le dit second degré de jurisdiction leur est octroyé, auront la mesme connoissance des matières tant civiles que criminelles qu'ils avoient auparavant et jugeront soit en première ou seconde instance ainsi et comme ils faisoient bien et deuement sous l'obéyssance de nostre dict frère le Duc de Savoye, et connoistra de mesme nostre Baillif de Beugey et Verromey estably à Belley, ou son lieutenant, en ce qui est de son establissement et ressort, des mesmes causes en première instance que par appel ou autrement appartenoit au Juge Mage cy-devant proposé et estably au mesme siège de Belley, au lieu duquel a esté créé par nous un lieutenant dont l'appel, si aucun est interjecté, ressortira en nostre Siège présidial de Bourg, comme feront aussi désormais toutes les appellations interjectées des juges d'appel des dits marquis, comtes et autres jouyssans du dit second degré de jurisdiction, en ce qui est du pouvoir absolu du dit siège et qui n'excédera les sommes dont il peut diffinitivement juger et décider, suivant nos ordonnances, [hormis que les appellations des juges d'appel seront
portées au Présidial de Bourg et non plus au Sénat de Chambéry]" (11).
Au XVIIIe siècle, Courtépée décrit ainsi le bailliage : "Un siège de bailliage principal pour tout le Bugey, indépendamment de celui de Bresse, qui est composé d'un bailli d'épée, un lieutenant civil, un criminel, deux conseillers rapporteurs et vérificateurs des défauts, d'un avocat, d'un procureur du Roi, d'un substitut et d'un greffier" (12).
L'Hôtel du bailliage
Matériellement, le Bailliage fut installé dans l'ancien hôtel de Savoie (13). "Le rez-de-chaussée de notre vieux Bailliage s'ouvrait sur la rue de la Grenette par une porte qui n'avait rien de monumental. Une allée conduisait dans la cour intérieure, au pied de la ravissante tour de l'escalier, seul vestige de l'ancien palais ducal, avec ses corridors à arcades qui la joignent. A droite de l'entrée, se trouvait le greffe de l'Election, à gauche celui du bailliage. Au premier étage se trouvaient, sur la rue, l'auditoire de la chambre des officiers du Bailliage ; sur la cour, la chambre pour le Criminel. Le second étage était réservé à l'Election et à l'Exécuteur. Dans toutes les salles, les murs sont peints "en gros bleu semé de fleurs de lys jaunes". Les sièges des juges, des avocats, et du procureur, ainsi que la table de la Chambre du Conseil et celle de l'Election, sont couverts d'une tapisserie de laine, fond bleu, avec des fleurs de lys "peintes en jaune" [d'après les Archives municipales]. Au fond de la cour, la chapelle, les prisons, le logement du concierge, occupaient les différents étages" (14).
Le droit bugiste
La confirmation du droit bugiste par Henri IV
Lorsque Henri IV annexa le Bugey à la France, en le rattachant comme la Bresse, au parlement de Dijon, régi par le droit coutumier, alors qu'il aurait pu être rattaché au parlement de Grenoble qui pratiquait le droit écrit, il confirma aussitôt le droit local dans plusieurs textes de novembre 1601.
Cette confirmation apparaît déjà dans le Cahier de la noblesse du Bugey :
"Et comme le païs de Beugey et Verromey s'est toujours réglé par le droit éscrit, plaira à Vostre Majesté d'y maintenir et faire continuer l'observation de la disposition du droit commun, avec le droit municipal, coustumier et statutaire, contenu dans l'ancien statut de Savoye, comme aussi l'observation des édicts et arrests publiés depuis l'an 1559 jusques à la conclusion du traicté de paix de Lyon, en janvier de l'année présente 1601, d'autant que ce sont loix décisives de tous les différents qui peuvent arriver en Beugey et Verromey, sous lesquelles l'on a vécu jusques à présent, d'un commun consentement pour l'assoupissement des procès".
[Réponse du Roi :] Sa dite Majesté trouve bon l'usage du droit escrit et qu'il soit continué comme il a été fait par le passé" (15).
Cette confirmation fut reprise dans les Patentes pour le général de la noblesse de Beugey et Verromey (16) qui fait état d'une petite particularité locale :
"L'administration de la justice ordinaire leur sera faite selon l'observation de la disposition du droit escrit sous lequel ils ont toujours esté réglez sauf toutesfois la restitution des augments des femmes, les devoirs seigneuriaux et feudaux, pour raison desquels l'ancienne coustume sera gardée et observée, ensemble l'édit et règlement du Duc de Savoye du mois de juin 1584 sur le payement et prestation des servis, cens et rentes annuelles et foncières, stil et règlement de la justice estably par les ordonnances du Roi François et Henry II". [Réponse du Roi : ] Le Roy a agréable que l'usage du droit escrit et le stil et règlement observé en l'administration de la justice locale y soient continuez. Demeureront aussi en leurs entier les us et coutumes deuement approuvées et de tout temps observées en général ou particulier esdits pays, soit pour la restitution des augments des femmes, et les devoirs seigneuriaux feudaux, comme aussi l'édit et règlement pour le payement et prestation des servis cens et rentes annuelles et autres, desquelles sa dite Majesté notamment veut et ordonne que la publication se face de nouveau et qu'ils observent désormais sous le nom et authorité de sa dite Majesté" (17).
Les particularités du droit bugiste
Tout ce que nous avons pu dire sur le droit ("l'usage") bressan et sa formation s'applique aussi au Bugey, d'ailleurs les ouvrages des XVIIe et XVIIIe siècles associaient régulièrement ces deux provinces dans leurs titres. On se reportera donc à la première partie de ce répertoire.
Cependant le droit bugiste différait en quelques points de détail, comme on l'a vu dans les Cahyers du Tiers-Estat de Beugey, mais malheureusement ils ont été trop peu souvent relevés, et jamais d'une manière systématique par les juristes des diverses époques, nous privant ainsi d'un tableau général de la situation. Rappelons cependant lestermes employés par Henri IV dans ses Patentes pour le Tiers-Etat de Beugey et de Verromey , qui reprennent ceux que nous avons cités extraits des Patentes de la Noblesse :
"Voulons outre ce et nous plaist que l'usage et observation du droit escrit, comme aussi du stile et règlement de la justice donné par la Cour de Parlement cy-devant establie par Nos prédécesseurs Roys de France à Chambéry, lorsqu'ils possédoient la Savoye, soient continuez, sauf en ce qui concerne les augments des femmes, les devoirs seigneuriaux et féodaux pour lesquels l'ancienne coustume des dits païs, sur le fait des criées et subhastations, l'édit et règlement du mois de juin mil cinq cens quatre-vingt et sept sur le payement et prestation des servis, cens et rentes annuelles et foncières, anciennes coustumes et statuts du païs, selon et ainsi que nous les ferons cyaprès rédiger par escrit, et l'édit fait pour la confection des inventaires pour estre le tout suivy et gardé sous nostre autorité" (18).
Le président Favre fait aussi parfois allusion à quelques divergences entre l'usage bressan et l'usage bugiste, mais on retiendra surtout les remarques de Guichenon qui a noté aussi quelques unes de ces différences, complétant les textes royaux de 1601:
"En Bresse, l'augment de la dot n'est point deu à la femme s'il n'est stipulé et promis par le contract de mariage. En Bugey, tout au contraire, il est deu sans stipulation avec cette différence encore qu'en Bugey, l'augment, à défaut d'enfans, fait retour aux héritiers du mary, au lieu qu'en Bresse, il est propre à la femme bien qu'il n'y ait point d'enfans de ce mariage" […] Au surplus, il y a une très grande différence entre les main-mortes de Bresse et celles du Bugey, car en Bresse, la fille de l'homme taillable et de main-morte exclud le seigneur et succède en tous les biens de son père, comme de mesme la fille d'un homme franc qui a des fonds taillables. Mais en Bugey, il y a coustume contraire d'autant que le seigneur de main-morte exclud les filles, en effect si un taillable meurt et ne laisse qu'une ou plusieurs filles, le seigneur prend toute sa succession à la charge de doter les filles à la concurrence de leur légitime […] Cet usage de Bugey, si différend du nostre a une origine très curieuse et laquelle a esté inconnue jusques à présent : c'est qu'autrefois la Loy salique par laquelle les filles ne succèdent point y estoit observée, et en Suisse mesme qui est en ce voisinage […]" (19).
Une étude menée sur le régime des biens entre époux en Bresse et en Bugey, a fait ressortir ces particularismes. Nous empruntons quelques lignes de la conclusion de cette thèse qui pourraient peut-être convenir à d'autres domaines du droit.
Après avoir constaté le développement de pratiques coutumières favorisées par la jurisprudence du parlement de Dijon, l'auteur poursuit (20) :
"Ces idées coutumières progressent d'ouest en est. C'est du Mâconnais que viennent les donations de survie. Usuelles en Bresse avant le début du XVIIe siècle, elles atteignent bien vite le Bugey et prolifèreraient sans doute au Pays de Gex, si la société d'acquêts ne les y devançait pas.
"C'est encore du Mâconnais, puis de Bresse, que viennent ces sociétés d'acquets. La Révolution de 1789 est sans doute survenue trop tôt pour qu'elles aient le temps de conquérir les bugistes.
"Il est vrai que c'est en Mâconnais et en Bresse que l'on a quitté le plus tôt les usages communautaires pour vivre en ménages. Mais dès la promulgation du Code Civil, les bugistes et les gessiens cesseront de passer des contrats de mariage, se soumettant par la même au régime de la communauté des meubles et acquêts, tout comme les bressans. Il n'y aura plus de décalage entre les provinces. Partout on accepte d'autant plus volontiers le régime communautaire qu'il était en fait rentré dans les usages depuis plusieurs décennies, caché sous une apparence de dotalité."
Il serait souhaitable que d'autres études du même genre soient réalisées pour d'autres questions, afin de mieux connaître l'évolution du droit dans cette région que sa situation entre le droit romain et la coutume rendait si originale.
Signalons enfin qu'après le rattachement à la France de la Vallée de Chézery, par le Traité de Turin de 1760, un édit du Roi ordonna que l'on y suivrait désormais les "usages et jurisprudence" du Bugey. Or cet usage concernait essentiellement les droits à succession pour les filles mariées (21).
Notes
(1) Philipon (Ed.), Dictionnaire topographique de l'Ain, Paris, 1911, p. XXIV.
(2) Ibid., p. XXIX.
(3) Granet (Pierre), Stylus Regius, Bourg, 1630, p. 105-106. Le texte du traité a été aussi reproduit, d'après le Stylus Regius, par Jules Baux, dans Histoire de la réunion à la France des provinces de Bresse, Bugey et Gex sous Charles-Emmanuel Ier, Bourg, 1852, pièces justificatives, p. LXVII-LXXX.
(4) Mariotte (Jacques-Yves) et Perret (André), Atlas historique de la Savoie, Textes d'accompagnements(épreuves non tirées), s.l.n.d., p. 54. Le traité de 1760 a été publié par Solar de La Marguerite, Traités publics de la royale maison de Savoie avec les puissances étrangères, depuis la paix de Château-Cambraisis jusqu'à nos jours, publiés par ordre du Roi Charles-Albert, Turin, 1836-1861, 8 vol., III, p. 166-195.
(5) Statuta Sabaudiæ, Turin, Franciscus de Silva, 1505, fol. XVIII v°.
(6) Collet (Philibert), Explication des statuts, coutumes et usages […], Lyon, 1698, p. 126.
(7) Guichenon, Histoire de Bresse et de Bugey, 1650, Fiefs de Bugey, p. 92
(8) Dallemagne, Histoire de Belley, Belley, 1929, p. 50
(9) Guichenon, ibid., Preuves, p. 55
(10) Archives départ. Côte-d'Or, B, f° 107.
(11) Granet, Stylus regius, Bourg, 1630, p. 177-178. Voir aussi les Patentes pour le Tiers-Estat de Beugey et Verromey, ibid., p. 204-205.
(12) Courtépée et Béguillet, Description générale et particulière du duché de Bourgogne, 3e édition, t.4, Paris, 1968, p. 512.
(13) Cet hôtel est actuellement occupé par la Caisse d'Epargne.
(14) Dallemagne (baron André), Histoire de Belley, Belley, 1929, p. 50-52.
(15) Granet, Stylus regius, Bourg, 1630, p. 166-167.
(16) Ibid., p. 180-181, et dans les Cahyers du Tiers-Estat de Beugey.
(17) Ibid., p. 191.
(18) Ibid., p. 206.
(19) Guichenon, op. cit., première partie, p. 23, "Des Coustumes".
(20) François-Leclanche (Xavier), Des communautés aux ménages, mutations sociales et régime des biens entre époux en Bresse, Bugey, Valromey et au Pays de Gex de 1601 à 1789, Thèse, Dijon, 1977, p. 166-167.
(21) Edit du Roi qui ordonne que la ville de Chézery et autres lieux [le marquisat de Ballon] réunis à notre pays de Bugey par le traité du 24 mars 1770, soient régis par les mêmes loix, usages et jurisprudence qui sont observés dans le surplus de notre pays de Bugey. Septembre 1770 [Dijon, Cause, 1770, 3 p.. Cet édit allait notamment à l'encontre d'une constitution du Roi de Sardaigne de 1729, qui s'opposait à la jurisprudence adoptée par le Parlement de Bourgogne pour le Bugey.