La première mention de la famille de Leguat se retrouve dans un ouvrage de Marie-Claude Guigue où le patronyme est associé à la paroisse de Chevroux en 1478 (1). Même si l'historien n'associe aucune référence à cette information, cette dernière mérite toutefois d'être relevée car c'est bien à Chevroux que fut possessionné Pierre de Leguat, formant la souche de cette famille au début du XVIe siècle. Acquéreur de la terre de La Fougère auprès de Marc de La Baume (2), Pierre de Leguat obtint ses lettres d'anoblissement le 16 septembre 1511 (3) et l'autorisation de « pouvoir réparer son ancienne demeure sise dans sa terre de Chevroux, […] de l'entourer de fossés et de la fortifier contre toute attaque, comme les châteaux des autres nobles » (4). Pierre de Leguat fit de la maison de la Fougère une véritable demeure seigneuriale dont l'architecture impressionnait encore les visiteurs à la fin du XIXe siècle (5).
Les qualités de bâtisseur de Pierre de Leguat ne s'arrêtèrent pas aux confins de sa petite seigneurie bressane puisqu'on le retrouve, en 1512, contrôleur aux travaux de construction de l'église de Brou. Secondant Louis Van Boghem, il assura, au moins pendant 10 ans, le suivi des travaux, la réalisation des marchés de matériaux et la paie des ouvriers (6). Il côtoya durant cette période Jean de Marnix (1483-1532), seigneur de Thoulouse, secrétaire et trésorier général de Marguerite d'Autriche, chargé de transférer de Flandres en Bresse, les sommes nécéssaires aux dépenses de construction (7). Il est très probable que cette relation fut à la source du mariage de Pierre de Leguat avec Marie de Marnix (8).
Pierre de Leguat rendit hommage à Charles de Savoie le 26 janvier 1532. En raison de sa seigneurie de la Fougère, il y reconnut la possession d'hommes, tant liges que taillables, de servis, rentes, corvées, de droits de justice, de fortification et de guet dans la paroisse de Saint-Etienne-sur-Reyssouze et au village de La Besace (9). Sa titulature, bien étoffée pour l'époque, ne permet pas de doutes sur sa réussite puisqu'il est mentionné « notaire ducal, secrétaire du bailli de Bresse, secrétaire du duc de Savoie, seigneur de Fougère, de Saint-Jean, de Saint-Etienne et de La Besace » (10). D'après un acte du 26 juillet 1654, Pierre de Leguat eut deux fils : Pierre, qui décéda sans enfant, et Nicolas, qui laissa un fils, aussi nommé Nicolas (11). Samuel Guichenon cite en outre l'existence d'une fille qui porta en dot la maison forte de La Fougère à Pierre Isuard (12).
Claude de Leguat, fils de Nicolas, est le membre le plus ancien dont les archives sont conservées dans le présent fonds. Marié à Nicole Magnin, le 16 avril 1581 et signataire d'un testament mutuel le 8 mai 1623 (13), il est encore mentionné en 1656, avec son épouse, comme bourgeois de Mâcon (14). En raison de son mariage avec la veuve d'un marchand, Claude de Leguat se lança dans le négoce de marchandises et dérogea par conséquent à sa qualité de noble (15). Il fut en outre le premier membre de la famille à être identifié comme appartenant à la religion réformée (16).
Les fils de Claude de Leguat, Jacob et Abraham, sont des figures connues des historiens du protestantisme dans le secteur de Pont-de-Veyle. Jacob, né à Pont-de-Veyle vers 1589, se fixa à Bourg-en-Bresse en 1616 où il devint enquêteur au siège présidial de Bresse. Abraham, domicilié à Saint-Jean-sur-Veyle, exerça la profession d'avocat au bailliage de Bresse (17). Les deux frères épousèrent deux sœurs, Marie et Anne Dumont, filles de Josué Dumont, marchand à Saint-Laurent-sur-Saône. On connait quatre enfants issus du mariage d'Abraham Leguat et d'Anne Dumont. Marie, qui abjura en 1656 (18), se maria le 12 décembre 1657 à Jacques de La Coste, conseiller en l'élection de Bresse, puis mourut certainement dans les années suivantes puisqu'elle est mentionnée décédée en 1662 (19). Suzanne fut, quant à elle, mariée en 1659 à Jérémie Perret, docteur en droit et juge des appellations du comté de Pont-de-Veyle (20). Le sort des deux garçons, Mathieu et François, fut réglé le 20 avril 1662 lors d'une donation entre vifs par Abraham Leguat, dont la vieillesse ne lui permettait plus de vaquer à ses affaires (21). L'héritage fut alors divisé en deux portions : Mathieu reçut le domaine de Saint-Jean-sur-Veyle et François celui de Bey, probablement la terre de Sauzey, pour laquelle il est mentionné seigneur en 1671 (22). Malgré ce partage, la gestion de l'ensemble du patrimoine revint en réalité à François, qui se chargea, non seulement de l'entretien de son père, mais aussi de son frère aîné, qui n'était pas en mesure d'assurer lui-même la gestion de ses biens (23).
A la révocation de l'Edit de Nantes, François Leguat abandonna sa Bresse natale pour échapper aux persécutions dirigées contre les protestants. Il trouva refuge aux Pays-Bas en 1689, où il rencontra Henri Duquesne, l'un des fils de l'amiral de Louis XIV, qui préparait une expédition visant à fonder une colonie protestante dans les Iles Mascareignes. François Leguat accepta de diriger cette expédition et s'embarqua à Amsterdam, le 10 juillet 1690, avec un groupe de dix réformés. De là s'ensuivit un périple entre l'île Bourbon, l'île Rodrigue, l'île Maurice, Batavia et les Indes, qui s'acheva en Hollande, le 28 juin 1698, après huit ans d'exil (24). Les exploits et les peines de celui qui fut souvent désigné comme le Robinson français, furent publiés à Londres en 1708, où François Leguat s'était fixé après son retour en Europe (25). Il y mourut célibataire en 1735, provoquant l'extinction de la descendance d'Abraham Leguat.
La lignée des Leguat se poursuivit avec la descendance de Jacob, en la personne de Nicolas de Leguat, avocat à Bourg-en-Bresse, son fils. Ce dernier s'attacha d'abord, avec le concours de son oncle Abraham, à recouvrer la qualité de noble à laquelle Claude de Leguat avait dérogé en raison de l'exercice du négoce. Il fut alors maintenu au titre de son ancienne noblesse par lettres de relief du 18 septembre 1651 et du 11 août 1654 (26). Par l'acquisition qu'il fit d'une chapelle abandonnée en l'église de Pont-de-Veyle, en 1657, et d'une place de sépulture en l'église de Saint-Jean-sur-Veyle, en 1669, Nicolas de Leguat se démarqua en outre des positions religieuses de son père et de son grand-père en maintenant une branche catholique au sein de la famille. Capitaine de cavalerie, il fut aussi le premier membre de la famille à se démarquer par ses titres militaires. Sur les huit fils qui lui ont été donnés par Françoise Grattier, son épouse, quatre au moins ont obtenu leurs galons d'officier : Jacques, capitaine au régiment de Damas, Antoine (seigneur du Masso), lieutenant au régiment de Vieille-Marine, Gabriel (seigneur des Illettes), lieutenant au régiment de Navarre, et André, capitaine au régiment de Picardie (27). Deux autres fils, Claude et Brice, docteurs en théologie, sont entrés dans les ordres. Claude de Leguat fut durant 35 ans le curé de la paroisse de Cuet et de Montrevel (1684-1719) et Brice eut d'abord la paroisse de Marboz, entre 1687 et 1723, pour être ensuite nommé prêtre et curé de l'église collégiale de Bourg-en-Bresse, jusqu'à son décès en 1749 (28).
Malgré les dix enfants issus du mariage de Nicolas de Leguat et de Françoise Grattier, la descendance n'est assurée que par deux fils. Le premier, Gabriel, fonda la branche des seigneurs des Illettes, pour lesquels il n'existe quasiment aucune information dans le présent fonds (29). Le second, André de Leguat, seigneur de Nécudey, se maria en premières noces à Philiberte de Prisque de Serville et en secondes noces à Henriette Françoise de Champier. De cette seconde épouse il eut Brice Charles de Leguat I qui, comme son père, se distingua par les armes en devenant officier d'artillerie, ce qui lui valut d'être décoré de l'ordre de Saint-Louis. Ce dernier reçut, on ne sait comment, le petit fief de La Tire sis en la paroisse de Crottet, dont il fut le premier à porter le titre. Par le jeu des successions de son père et de ses oncles, il hérita de l'essentiel du patrimoine des Leguat, qu'il fit fructifier jusqu'à son décès, le 6 octobre 1773 (30). L'union de Brice Charles de Leguat I et de Benoîte de Mareste donna un fils, Brice, qui reste leur seul enfant connu.
Brice de Leguat s'engagea dans la marine en 1745 (31). Blessé en 1747 et 1748, il prit le commandement de la milice de Chalon-sur-Saône en 1750 puis réintégra le régiment de Briqueville, avec lequel il s'embarqua pour l'île de Minorque, où il fut élevé au grade de capitaine. A partir de 1760, il participa à bon nombre de campagnes qui lui valurent un titre de chevalier de Saint-Louis et un grade de capitaine aide-major au sein du régiment de Bourgogne. Au fief de la Tire, détenu par son père mais dont il portait le titre, il ajouta celui de Genod, sis à Crottet, par une acquisition faite en 1765 (32). Il se maria le 30 avril 1763 à Marie Tiret du Rouvray mais décéda rapidement, peut-être sur un champ de bataille, le 20 janvier 1766. La gestion de son héritage fut alors partagée entre son père et son épouse, qui assurèrent également le tutorat de Brice Charles II. Au décès de Brice Charles I, en 1773, Marie Tiret du Rouvray prit seule l'entière gestion du patrimoine familial. Aux biens de son mari, s'étendant sur les paroisses de Saint-Jean-sur-Veyle, Boissey, Crottet, Pont-de-Veyle, Bâgé-la-Ville et Vonnas, elle porta également ceux provenant de l'héritage de ses parents, à savoir François Gaspard Tiret du Rouvray et Louise de Prisque de la Tour Serville, principalement concentrés sur la paroisse de Saint-Genis-sur-Menthon. Détenue durant une période de 18 mois sous la Révolution et démunie de l'ensemble ses biens, Marie Tiret du Rouvray jeta ses dernières forces dans une longue procédure en mainlevée de séquestre afin de reconstituer son héritage, pour s'éteindre à Bâgé-la-Ville, le 26 septembre 1810 (33).
En 1784, Brice Charles de Leguat II, fils de Brice et de Marie Tiret du Rouvray, entra au régiment Dauphin-Cavalerie en tant que gentilhomme volontaire. En 1788, alors majeur, il prit possession de ses biens puis se rendit à Paris, à la convocation des Etats-Généraux, où il resta jusqu'au printemps 1789. Sans domicile attitré, il se fixa toutefois à Saint-Jean-sur-Veyle jusqu'en 1791. Prévenu d'émigration, Brice Charles de Léguat II vit le séquestre de ses biens et de ceux de sa mère. Sur son activité durant la période révolutionnaire, les archives révèlent deux informations contradictoires. D'un côté, le dossier de mainlevée de séquestre montre une requête et des certificats de résidence attestant de la présence de Brice Charles de Leguat II à Lyon, entre 1792 et 1795. D'un autre, des correspondances d'ordre militaire produites sous la Restauration nous indiquent que ce même homme gagna en 1792 la compagnie des officiers d'artillerie, réunie à la brigade irlandaise, avec laquelle il fit la campagne des Princes en Allemagne (34). Acquis à la cause de la contre-révolution, il fut employé en 1796 au sein de l'agence du roi (ou agence royale), en qualité de lieutenant-colonel, jusqu'en 1802 (35).
Par arrêté du 29 mars 1797, le bureau des émigrés du département de l'Ain prononça la mainlevée provisoire du séquestre des biens de Brice Charles de Leguat II, avec la restitution des fruits et des ventes concernant ses domaines. Il semble qu'il réussit effectivement à retrouver quelques domaines puisqu'il est plusieurs fois mentionné propriétaire sous la Restauration. Un arrêté préfectoral du 21 décembre 1815, prononce, en outre, l'envoi en possession d'une ensemble de biens provenant de Marie Tiret du Rouvray, sur les commune de Saint-Genis-sur-Menthon, Bâgé-la-Ville et Saint-Jean-sur-Veyle (36). Un temps à Bâgé-la-Ville, qui fut le lieu de résidence de sa mère, Brice Charles de Leguat II logea en 1816 et 1817 à l'hôtel de Bourgogne à Paris, puis après son mariage, en 1818, à Mantes-la-Jolie. Sa trace se perd en 1838 où il est domicilié à Genod.
Notes
(1) GUIGUE (M.C.), Note sur l'ancienneté des familles du département de l'Ain, p.112.
(2) AD Ain, E 135 et E 140. Marc de La Baume se marie en 1488 et teste en 1526. On peut donc supposer que l'acquisition de La Fougère se situe dans cette séquence chronologique.
(3) REVEREND DU MESNIL (Edmond), Armorial historique de Bresse, Bugey, Dombes, Valromey et Franc-Lyonnais, p. 322.
(4) GUICHENON (Samuel), Histoire de Bresse et du Bugey, p. 54. AD Ain, BIB MS 318, f° 178 r°, voir la traduction française des lettres d'anoblissement du 16 septembre 1511.
(5) AD Ain, BIB MS 318, p. 26-30.
(6) BRUCHET (Max), Marguerite d'Autriche, duchesse de Savoie, p. 111, 227, 231, 239.
(7) BAUX (Jules), Recherches historiques et archéologiques sur l'église de Brou, p. 105, 210, 220.
(8) GUICHENON (Samuel), op. cit., p. 54.
(9) AD Ain, 77 J 4.
(10) AD Ain, BIB MS 318, f° 23 r°. Voir aussi AD Ain, 100 Fi 905 : le plan mentionne une dette de 700 florins contractée par Pierre de Leguat, seigneur de La Fougère, envers Marguerite d'Autriche, pour sa qualité de « fermier du greffe du bailliage de Bresse ».
(11) AD Ain, BIB MS 318, f° 167 r°.
(12) Sur la transmission de la seigneurie de La Fougère, voir GUICHENON (Samuel), op. cit., p.54. Sur la descendance de Pierre de Leguat, on se reportera à un manuscrit anonyme conservé aux AD Ain, sous la cote BIB MS 318, p. 23 à 35.
(13) AD Ain, BIB MS 318, f° 36 r°.
(14) AD Ain, 77 J 1.
(15) AD Ain, BIB MS 318, f° 167 r°.
(16) AD Ain, 77 J 1. La quittance montre par exemple des relations d'affaires avec trois familles, toutes protestantes (Bauderon, Dumont, Lamy).
(17) CHAIX (P.H.), La Bresse protestante au XVIIe siècle, p. 104.
(18) AD Ain, BIB MS 318 f° 41 r°.
(19) AD Ain, BIB MS 318, f° 40 r° et 1 B 1314, donation du 20 avril 1662, f° 75 r°.
(20) AD Ain, 77 J 6. Voir aussi : CADET-SABATIER (Sylvie), Les protestants de Pont-de-Veyle et lieux circonvoisins au XVIIe siècle, p. 86.
(21) AD Ain, 1 B 1314, donation du 20 avril 1662, f° 75 r°. Dans l'acte, Abraham Leguat est mentionné écuyer (domicilié à Saint-Jean-sur-Veyle), et Mathieu et François reçoivent la qualité de noble.
(22) AD Ain, 77 J 3 et CADET-SABATIER (Sylvie), Les protestants de Pont-de-Veyle et lieux circonvoisins au XVIIe siècle, p. 86.
(23) CAVAILLES (Nicolas), Vie de monsieur Leguat, p. 2 et CADET-SABATIER (Sylvie), Les protestants de Pont-de-Veyle et lieux circonvoisins au XVIIe siècle, p. 86. D'après les deux auteurs, cette incapacité est due à un handicap.
(24) BILLIOUD (Jacques), Les aventures lointaines d'un gentilhomme bressan sous Louis XIV, in Visages de l'Ain, n°79, mai-juin 1965, p. 24-26. Voir aussi : CAVAILLES (Nicolas), Vie de monsieur Leguat.
(25) Voyages et aventures de François Leguat et de ses compagnons en deux îles désertes des Indes orientales, avec la relation des choses les plus remarquables qu'ils ont observées dans l'île Maurice, à Batavia, au Cap de Bonne Espérance, dans l'île Sainte-Hélène et en d'autres endroits de leur route. Voir aussi : LEGUAT (François), Aventures aux Mascareignes (AD Ain, BIB D 539).
(26) REVEREND DU MESNIL (Edmond), op. cit, p. 322.
(27) AD Ain, BIB MS 318, f° 66 r° et DUFAY (C.J.), Biographie des personnages notables du département de l'Ain, p.89-91. Voir l'édition numérisée sur Gallica.bnf.fr ; l'édition conservée au Archives départementales ne comprend pas de notice sur cette famille.
(28) AD Ain, BIB MS 318, f°73 r° et 77 J 5-6.
(29) Il semble toutefois que cette branche ait été la seule à traverser le XIXe siècle. Voir AD Ain, BIB MS 318 qui donne une généalogie détaillée.
(30) AD Ain, 77 J 11.
(31) Sur la carrière militaire de Brice de Leguat, voir : AD Ain, 77 J 12 et MARTINERIE (Jean), Personnages illustres du canton de Pont-de-Veyle, p.10.
(32) Le fief de Genod, aujourd'hui hameau de la commune de Crottet, est souvent confondu avec celui de Genost, devenu Genoud, dont le château se trouve sur la commune de Certines.
(33) AD Ain, 77 J 19.
(34) AD Ain, 77 J 19.
(35) AD Ain, 77 J 19.
(36) AD Ain, 4 K 26, f°26.