Présentation du producteur : A la veille de la Révolution, les pays qui seront regroupés en janvier 1790 dans le département de l'Ain forment trois provinces (Pays de Gex, Bugey, Bresse à laquelle la Dombes a été unie en 1781). Ces trois provinces sont comprises dans la généralité ou intendance de Bourgogne. A la fin de l'ancien régime, cinq subdélégués aident l'intendant de Bourgogne, Amelot de Chaillou, à administrer ces pays : Thomas Riboud à la tête de la subdélégation de Bourg, Janet à Trévoux, Fabry à Gex, Prost à Nantua et Genin de Montègre à Belley. La situation administrative de notre région depuis son entrée dans le royaume en 1601 est originale car les pays de l'Ain sont à la fois des pays d'élection - les élus de Bourg et de Belley répartissent la taille entre les communautés - et des pays ayant conservé leurs Etats provinciaux. Dans la province de Bresse et Dombes par exemple, les représentants des trois ordres se réunissent régulièrement à l'hôtel de la province situé à Bourg pour s'occuper des affaires particulières de leur corps et des affaires générales de la province (construction de routes, etc).
Durant la deuxième moitié du XVIIIe siècle, la majorité des ruraux de l'Ain, subissent des prélèvements seigneuriaux accrus imposés par une partie de la classe dirigeante et minoritaire. Cette " aggravation des charges seigneuriales " baptisée par les historiens " réaction seigneuriale " prend un aspect financier, mais aussi humain. En effet, les redevances seigneuriales sont d'ordre pécuniaire, mais aussi matériel . Les seigneurs (propriétaires de terres, laïcs ou non) font rénover leurs terriers par des commissaires feudistes et ainsi réclament le paiement de droits oubliés. Cette réaction n'est pas appréciée des paysans dépendant des seigneurs, qui voient, en Dombes et dans le Bugey, leurs revenus baisser.
Les aléas climatiques aggravent en cette fin de XVIIIe siècle la situation du petit peuple des campagnes. En effet, les hivers de 1784 et 1785 sont rudes, ce qui entraîne une hausse du prix des céréales nourricières entre 1779 et 1783 . Mais l'hiver de 1788-1789 l'est particulièrement. Le froid intense provoque la mort de nombreux poissons dans les étangs dombistes, détruit en partie le vignoble bugiste, et interrompt l'activité des moulins sur les rivières gelées. Comme les récoltes céréalières de 1788 étaient inférieures à la normale, la soudure est difficile au printemps 1789. Le prix des grains s'élève, la disette guette une population rurale financièrement affaiblie, en frappant particulièrement les journaliers, sorte de quart-état des campagnes vivant dans des conditions très précaires. La situation est aggravée par la crise de la soierie lyonnaise (due à la mort en grand nombre des vers à soie à cause du mauvais temps) qui jette sur les routes de nombreux manoeuvres qui se répandent dans les régions productrices de céréales pour mendier. La pauvreté grandissante, la cherté de la vie, la menace de disette et l'accroissement des redevances seigneuriales, ne peuvent que pousser les habitants des campagnes à un mouvement de masse, dont le succès de Mandrin quelques années auparavant peut servir d'exemple.
Dans les villes, les prémices de la Révolution sont tout autres. La bourgeoisie (part de la population urbaine de condition roturière, mais qui socialement et financièrement se rapproche du mode de vie noble, essentiellement composée de gens de robe et de marchands) entend accéder aux places lucratives et honorifiques jusque-là détenues exclusivement par la noblesse. Cette dernière se voit en effet confier toutes les charges intéressantes, cantonnant à de petites fonctions une bourgeoisie dont les ambitions sont grandissantes. Ainsi dans les pays de l'Ain, à la veille de la révolution, les valeurs du sang priment sur celles du mérite et la bourgeoisie, qui a compris ceci, cherche néanmoins à s'imposer sur le devant de la scène publique. Elle s'oppose à la noblesse qui se retrouve toute puissante sur le plan politique national grâce à la mainmise sur les parlements et à l'édit de Ségur de 1781 qui consacre sa supériorité sociale .
Cette bourgeoisie, avide de reconnaissance sociale, occupe, à la veille de 1789, des fonctions juridiques importantes dans les tribunaux locaux. Certains bourgeois ont acheté des offices de procureur du Roi ou de conseiller aux bailliages de Bourg, de Belley, de Gex ou à la sénéchaussée de Trévoux et de nombreux avocats défendent les affaires de leurs clients devant ces tribunaux. Les polémiques entre les représentants de ces deux classes dominantes sont très vives dans les années 1787-1788 ; ainsi la constitution du grand bailliage de Bourg (créé en mai 1788 et constitué de bourgeois) provoque une réaction du Parlement de Dijon et de la noblesse qui se voit flouée de ses droits. Cette dissension au sein de l'élite bressane pousse la noblesse de Bresse à condamner la réforme entreprise par Lamoignon le 19 juin 1788, alors que le Tiers-État soutient le garde des sceaux. Les manoeuvres de la noblesse sont si puissantes que le grand bailliage est supprimé en septembre 1788 et que les réformes judiciaires entreprises par Lamoignon sont abandonnées. Pendant l'été et l'automne 1788, les avocats bressans interviennent dans le débat public : Gauthier des Orcières et Duhamel publient plusieurs brochures dans lesquelles ils dénoncent les prétentions du parlement de Dijon, dénoncent les privilèges fiscaux de la noblesse de Bresse et critiquent la manière dont les représentants officiels du tiers gèrent les affaires de leur ordre .
Mais la grande majorité des habitants des villes, en cette fin de XVIIIe siècle, n'est pas composée uniquement de bourgeois à la recherche d'élévation sociale. On y trouve en grand nombre des artisans, des boutiquiers, des domestiques et des ouvriers. Ces derniers en général voient d'un oeil plutôt indifférent les querelles entre bourgeois et nobles. Pour eux, seul importe le bien-être de leur famille et le pain quotidien.
La convocation des états généraux soulève une vague d'enthousiasme dans le Tiers-État, et " satisfait plutôt les esprits éclairés " dans les pays de l'Ain. Toutes les portions de la nation se sentent concernées par cet événement . Les assemblées des communautés se tiennent du 8 au 18 mars 1789, celles des bailliages débutent le 16 mars 1789 à Belley et à Gex et le 23 mars 1789 à Bourg et à Trévoux. Dans la capitale de la Bresse, les trois ordres se mettent d'accord - cas semble-t-il unique en France - pour rédiger un cahier commun . Ce cahier unique prend pour base les doléances du tiers qui apparaissent dans la première colonne, les remarques du clergé et de la noblesse sur les propositions du troisième ordre apparaissant dans les deux autres colonnes du cahier. Pour les autres bailliages, les cahiers sont rédigés de façon traditionnelle, chaque ordre rédigeant le sien propre. Dans ces cahiers, " sont (...) balayées (...) les doléances réelles des gens de métiers, corporations (et) à plus forte raison des ruraux " . La noblesse veut conserver un pouvoir royal fort tandis que le tiers n'accorde au roi que le pouvoir exécutif. La centralisation monarchique est souvent critiquée et le souhait " d'une nouvelle organisation administrative plus décentralisée " apparaît dans plusieurs cahiers.
Le petit peuple des villes et des campagnes a eu du mal à faire entendre sa voix dans les cahiers de doléances. Ce n'est pas le cas de la bourgeoisie qui a pu dénoncer avec vigueur les privilèges aristocratiques.